Par : Dr Mohamed Maiz Universitaire Il serait urgent que les gestionnaires du tableau de bord adhèrent à l'idée que les coupures d'eau, non seulement ne règlent rien, mais qu'en plus elles accentuent, par réaction de panique et de prévention, la tendance à la surconsommation, provoquée par le surstockage et le gaspillage." Décidément, le système qui préside aux destinées du pays a l'air de vouloir se spécialiser dans le cumul des crises. Crise du régime, crise d'éthique, crise de confiance, crise de crédibilité, crise de légitimité, crise de développement et, la toute dernière, la crise de l'eau. Incapables de fournir de l'eau à la population, les différents gouvernements qui se sont succédé n'ont plus de preuve à fournir sur leur incompétence. Le stress hydrique a bon dos. À croire qu'il est, spécifiquement, algérien. Les pays voisins, exposés aux mêmes conditions pluviométriques, s'en sortent nettement mieux. L'argument qui consiste à se prévaloir de la faute des nuages qui auraient préféré zapper notre ciel pour aller déverser leur richesse ailleurs ne tient pas la route. La dernière crise de l'eau, à dimension nationale, remonte aux années 1980. Plus de trente ans après, elle nous revisite avec plus d'acuité. Des présidents et des dizaines de ministres se sont, entre-temps, succédé. Des paroles en forfanteries mensongères, de bilans élogieux à promesse de Gascon, pour noyer de lourdes inaptitudes qui, à présent, remontent... à l'eau. Leur laxisme n'a d'égal que leur irresponsable désinvolture, face à une question vitale. Comme d'habitude, fonctionnaires cravatés et spécialistes commandités vont être aiguillonnés pour se creuser les méninges et produire, en se trémoussant et en suant à grosses gouttes, des explications tirées par les cheveux et, technico-machin, pour tenter de justifier l'injustifiable. De telle sorte à camoufler les graves défaillances de leurs chefs. Et à imputer la responsabilité de la faillite de la gestion sectorielle à l'insuffisante clémence du ciel. Une sortie de secours, du type ce n'est la faute à personne, nulle et non avenue, comme une boiteuse fuite en avant. Tous les gouvernements, tous les parlementaires, tous les partis politiques et autres commissions de ces trente dernières années sont coupables de manquements, mettant en péril la sécurité hydrique du pays. Les réunions interministérielles et gouvernementales de suivi du problème de l'eau n'ont, à l'évidence, fait que brasser du vent. On apprend, en effet, que quelque 50 milliards de dollars avaient été consentis et engloutis pour un résultat qui nous ramène à la case départ. La corruption et le siphonage sont certainement passés par là. Mauvaise politique en matière d'hydraulique ? Inapplications des arlésiennes que furent les programmes présidentiels ? Envasement des barrages ? Les réponses et les verbiages ne sont d'aucune utilité pour nos robinets asséchés. Les mêmes causes produiront les mêmes effets. Le mal est profond. Il renvoie, fatalement, au mode de gouvernance. Celui d'un régime qui n'a de compte à rendre à personne. Et qui n'admet aucun contrôle, réel suivi de sanctions politiques, de l'action gouvernementale par des contre-pouvoirs, suffisamment forts par leur niveau de représentativité populaire, pour dénoncer, avant que la catastrophe ne se produise, par l'objectivité de leurs arbitrages, les défaillances et les incompétences, où qu'elles se trouvent. Notamment, les suites d'incapacités qui ont eu en charge les affaires du pays. À l'heure où derrière les coupures se profilent des émeutes de la soif, aucune explication n'est ni recevable ni apaisante. D'autant qu'aucune solution concrète et urgente n'est proposée pour tempérer la colère et le feu qui prend sous la paille. Aucun plan Orsec n'est possible en situation de manque d'eau dans des barrages livrés des décennies durant à l'avancée de l'envasement et à l'absence de maintenance. L'inéquitable régulation de la distribution de l'eau est une mesure approximative et superficielle qui ne fait qu'exacerber les sentiments d'injustice, de révolte et de haine. Le comble est que personne n'est responsable. Parce qu'on rentre dans une haute fonction gouvernementale ou parlementaire, sur appui, comme dans un moulin, et on ressort, après échec patent, la conscience tranquille, les poches pleines et les doigts dans le nez. Pourtant, aux antipodes de ces insouciances, un éminent spécialiste algérien a fait paraître des contributions d'un très haut niveau scientifique dans lesquelles il suggère une nouvelle approche. Il s'agit de l'exploitation des inépuisables et séculaires nappes souterraines du massif du Djurdjura. Une vision audacieuse et d'avenir, qui sort des sentiers battus, des noyades dans un verre d'eau et du ronron des ronds de cuir, habitués aux facilités. Une solution qui mettrait notre pays et les générations à venir dans une confortable situation de totale et définitive sécurité hydrique. Du coup deviennent ridicules les mesurettes prises par le gouvernement, puisque le chercheur propose de sortir de l'exclusive dépendance de la coûteuse et problématique option de la grande hydraulique. Et, comme nous ne sommes pas à une inintelligence près, il s'est trouvé des adeptes de l'exploitation du gaz de schiste dont la technique de fracturation, en plus d'être polluante, exige une consommation industrielle d'eau. Quoi de mieux pour amplifier la crise, alors qu'il est grand temps, au contraire, de mettre en œuvre une vraie politique de diversification de sources de production d'eau et d'économie de l'eau, de lutte contre le gaspillage et d'utilisation parcimonieuse de la ressource hydrique. Dans le même ordre d'idées saugrenues, n'a-t-on pas vu germer le projet, fortement demandeur d'eau, de création de fermes-ranchs algéro-américains d'élevage intensif et à grande échelle de vaches laitières dans les régions du Sud, là où il y a insuffisance hydrique ? Grande hydraulique à forte retenue d'eau et paradoxal rationnement de la population, stress hydrique et projet de gaz de schiste ; gestion empirique et laxiste, au détriment des solutions radicales de diversification des sources de production d'eau (nappe du Djurdjura, nappe phréatique, nappe albienne algéro-libyenne, unités de dessalement, retenues collinaires, eaux de ruissellement et de pluie, recyclage des eaux usées, lutte contre les déperditions, péréquation interrégions). Ce sont là quelques-unes des données de la problématique de l'eau. La résolution du problème exige, plus que de la réactivité, de l'anticipation. Contrairement à l'effet escompté, les longues coupures d'eau, vécues dans certains quartiers, favorisent la surconsommation, le surstockage et le gaspillage. En voici quelques raisons, puisées dans la quotidienneté comportementale : 1- Dans nos traditions, l'eau ne se refuse pas. Solidarité oblige, ceux qui en ont, par la grâce de la programmation des lâchers, en donnent à ceux qui n'en ont pas, pour cause de coupure. Ainsi, les économies d'eau faites en un endroit sont contrebalancées par la surconsommation en d'autres. 2- Même phénomène des vases communicants, mais cette fois-ci payant, avec les livraisons d'eau, par camions-citernes. Les secteurs qui ont l'eau alimentent, pareillement, ceux qui n'en ont pas. À la différence qu'il s'agit, dans ce cas, de transferts d'eau plus importants. 3- En raison de la méfiance à l'égard de la programmation de la distribution de l'eau, les coupures incitent au surstockage et au gaspillage. Le retour de l'eau dans les robinets s'accompagne généralement d'une opération domestique de renouvellement des réserves. On vide tout pour remplir, de nouveau, avec une eau neuve. 4- L'ouverture des vannes, après coupure, envoie dans les canalisations une eau terreuse, impropre à la consommation. La réaction des ménages est de laisser longuement et abondamment couler, en pure perte, jusqu'à ce que l'eau s'éclaircisse. 5- L'insécurité créée par le non-respect du planning des plages horaires de disponibilité de l'eau suscite le besoin, domestique, de tirer profit, à profusion, du retour de l'eau, par un surplus inhabituel de consommation (bains, lessive, lavages à grande eau des surfaces et des voitures, arrosage...). À l'échelle du pays et par le gaspillage qu'ils causent, ces trois derniers points devraient donner à réfléchir. Seule la garantie de disposer de l'eau en permanence, même si c'est à faible débit, pourrait contribuer à la normalisation comportementale du consommateur. Au final, et on le voit, l'effet pervers du rationnement de la consommation d'eau accentue le déficit initial que l'on prétend solutionner par un zoning des coupures. Une mesure de restriction contre-productive, qui risque, hormis quelques insignifiantes et hypothétiques économies, de se révéler n'être qu'un coup d'épée dans l'eau. Il serait urgent que les gestionnaires du tableau de bord adhèrent à l'idée que les coupures d'eau, non seulement ne règlent rien, mais qu'en plus elles accentuent, par réaction de panique et de prévention, la tendance à la surconsommation, provoquée par le surstockage et le gaspillage. De plus, les défaillances dans la prise en charge de la question de l'eau renvoient au choix en matière de politique et de gestion des ressources hydriques. Elles ne sauraient être réglées par des mesurettes, pénalisantes, endurées par le consommateur. La population estime qu'elle n'a pas à payer pour les inconséquences de responsables qui font trois petits tours, et puis s'en vont ; d'où les foyers d'émeutes. Enfin, une commission d'enquête devrait être instituée afin de déterminer les responsabilités de responsables qui ont été complices de corruption, de mal gestion et de projets fictifs en matière de maintenances et de projets qui n'ont jamais été réalisés et payés rubis sur l'ongle.