À trop vouloir garder le pouvoir jusqu'au bout pour réaliser une de ses obsessionnelles pulsions, à savoir mourir président, Abdelaziz Bouteflika a fini par tomber brutalement de son piédestal. Et si le troisième et le quatrième mandats, il les a acquis au prix d'un incommensurable viol de la Constitution en 2008, lui ouvrant la voie à un règne à vie, le 5e mandat a constitué, à tous points de vue, la goutte qui a fait déborder le vase. Vingt années de règne, c'en était le calice jusqu'à la lie pour un peuple qui a été plus que patient. Il regardait impuissant l'Etat, pris en otage par un pouvoir parallèle qui en usait et abusait à son bon vouloir, et qui s'apprêtait à commettre une énième forfaiture en tentant de maintenir un président impotent à la tête du pays. Le mandat de trop, voire la provocation de trop. Celle par qui le glas a sonné pour un homme qui tenait au pouvoir comme à la prunelle de ses yeux. Humilié par tant d'effronterie, le peuple du Hirak a dit basta. Tout a commencé à Kherrata, dans la wilaya de Béjaïa, un certain 16 février 2019. Un rassemblement spontané de quelques centaines de citoyens opposés au 5e mandat est vite perçu comme cette lueur tant attendue venue libérer de sa torpeur un peuple brimé, oppressé, éreinté par vingt années d'une gouvernance aléatoire où la corruption, la rapine, le clientélisme, les dilapidations de tous ordres étaient devenus les maîtres-mots. Trois jours après, c'est-à-dire le 19 février, c'est Khenchela qui se soulève comme un seul homme pour répondre à une énième provocation d'un maire zélé qui avait accroché au fronton de la municipalité un portrait géant du président-candidat. Dans un mouvement de foule inhabituel, les citoyens se sont rassemblés en nombre devant la mairie et réussissent à abattre le mur de la peur en décrochant et en jetant à terre le portrait du président honni. Trois autres jours après, le 22 février, la révolution pacifique était née. Aux quatre coins du pays, la population sort massivement dans la rue dans ce qui restera dans l'histoire du pays comme une des pages les plus extraordinaires de la mobilisation pacifique. Le Hirak fait plier l'establishment qui ne sait plus où donner de la tête. S'ensuivit un bras de fer qui a failli tourner à la confrontation entre, d'un côté, Saïd, le frère et conseiller du chef de l'Etat, qui a rameuté quelques personnalités civiles et militaires, et le chef d'état-major de l'armée dont la tête était mise à prix. Ahmed Gaïd Salah, qui s'est appuyé sur la rue bouillonnante, avait, de son côté, mobilisé tout l'état-major pour hâter la démission du président Bouteflika. Le mouvement populaire, qui revendiquait l'application des articles 7 et 8 de la loi fondamentale, réussit à faire fléchir les Bouteflika qui battent en retraite et, dans la foulée, se résolvent à annoncer le retrait du chef de l'Etat de sa fonction présidentielle. Suprême humiliation pour un homme qui voulait entrer dans l'histoire en concentrant entre ses mains tous les pouvoirs, mais qui a fini par en sortir par la plus petite porte... son règne, pour le moins controversé, s'étant lamentablement fracassé sur la carapace de l'éveil du peuple algérien qui, grâce à l'ampleur de sa mobilisation et à son pacifisme, a donné une belle leçon au monde entier.