Ancien président de la Ligue algérienne de défense des droits de l'Homme (Laddh) et avocat très populaire, Me Mustapha Bouchachi évoque dans cet entretien le boycott des audiences auquel a appelé l'Unoa pour aujourd'hui et certaines questions inhérentes à l'exercice de la fonction d'avocat. Liberté : Les avocats boycotteront demain (aujourd'hui, ndlr) toutes les activités judiciaires en réponse à l'appel de l'Union nationale des barreaux pour protester contre l'augmentation des taxes ? Ce boycott est-il légitime, selon vous ? Me Mustapha Bouchachi : Je considère que cette grève est légitime en réponse à la nouvelle loi de finances et à la taxe imposée aux avocats. La taxe était forfaitaire jusque-là, à hauteur de 12%. Et maintenant, elle s'élève à plus de 30% du chiffre d'affaires, avec la suppression du caractère forfaitaire. Je ne sais pas si cette procédure s'appliquera à toutes les professions libérales ou uniquement à la profession d'avocat, mais je pense que le mode de prélèvement de cette taxe pose de nombreux problèmes. Cela a amené les avocats à exiger que l'impôt soit prélevé à la source, c'est-à-dire lorsqu'ils enregistrent toute affaire sur laquelle ils paient l'impôt. L'Union des barreaux a contacté le ministre des Finances avant que le projet de loi de finances ne soit soumis au Parlement, mais jusqu'à présent, rien n'indique qu'ils répondront favorablement aux demandes des avocats. L'Union a donc annoncé un boycott de toutes les activités judiciaires, à l'exception de celles dont les délais sont arrivés à expiration. La profession d'avocat est une sorte de prestation de services et non une activité commerciale, et je regrette donc l'absence de réponse du ministère de la Justice ou du ministère des Finances aux demandes des avocats. En évoquant la nature de la profession d'avocat, même le citoyen considère parfois les avocats comme des commerçants. Pourquoi à votre avis ? Certes, il y a une vision erronée de la profession d'avocat. Dans toutes les législations du monde, la profession d'avocat est considérée comme non commerciale. L'avocat assiste les juges et les justiciables en même temps. Ce sont les avocats qui innovent et éclairent, et ce sont les juges qui pondèrent. C'est ce qui est convenu dans tous les pays. Malheureusement, la législation algérienne considère la profession d'avocat comme une partie de la justice. La clause n'a jamais été respectée. Je veux juste dire que la profession d'avocat souffre sous un régime antidémocratique, et ce n'est pas seulement en Algérie, où la justice n'est pas indépendante. Dans un environnement législatif malsain, force est de constater que les avocats ne peuvent pas remplir pleinement leur mission, car ils sont confrontés à une autorité judiciaire souvent pas indépendante. À votre avis, cette mesure fiscale est-elle une sanction pour l'avocat ou répond-elle aux soucis du gouvernement de trouver de nouvelles sources financières au Trésor public ? Je ne peux pas spéculer sur cet aspect. Mais ce que je peux dire, c'est que le mode de prélèvement de cet impôt pose beaucoup de problèmes. Je pense aussi que le ministère de la Justice ou des Finances devraient négocier avec les avocats sur cette question. Mais l'opinion publique se demande pourquoi les barreaux protestent à chaque fois qu'un problème lié à l'aspect social de la profession est soulevé, alors qu'ils sont absents lorsqu'il s'agit des droits et libertés des citoyens. Qu'en pensez-vous ? Au cours des deux dernières années, nous avons constaté un déclin de l'appareil judiciaire, en conséquence, les avocats sont incapables d'atteindre des résultats. Cela ne se limite pas aux affaires liées aux délits d'opinion, mais également aux affaires de droit commun. Lorsque le juge entre dans la salle d'audience et trouve devant lui une centaine de dossiers, il ne peut faire justice, même si ses intentions sont bonnes. Aucun juge ne peut faire justice en écoutant un grand nombre d'avocats. J'aurais aimé que les barreaux ne protestent pas uniquement contre les impôts, mais qu'ils fassent en sorte que les principes de la profession soient défendus. J'espère que le combat de nos confrères portera sur l'équité des procès, car la profession d'avocat est un moyen de pression sur la justice pour qu'elle soit indépendante, et il faut bien avouer que nous ne protestons pas beaucoup lorsqu'il s'agit de défendre les justiciables. Concernant les affaires liées au délit d'opinion, l'appareil judiciaire s'est complètement laissé aller et les citoyens sont jetés dans des audiences semi clandestines en raison des instructions des procureurs de la République pour empêcher les citoyens d'assister aux procès à cause du Covid. Même les plaidoiries des avocats dans ce cas ne parviennent pas à l'opinion publique. C'est pourquoi, nous nous demandons parfois s'il y a un intérêt à plaider dans ces affaires. Cependant, après réflexion, nous avons décidé de poursuivre notre mission tout en sachant qu'il y a une orientation indirecte de la justice dans ces affaires. Les conditions de travail des avocats sont aujourd'hui frustrantes : si certains juges s'attachent à appliquer la loi, la majorité rend des jugements sans fondement légal. Aujourd'hui, il y a un avocat en prison et un autre a été convoqué à Oran par la police. Où commence et où s'arrête l'immunité de l'avocat ? Premièrement, l'avocat, comme tout citoyen, est soumis à la loi lorsqu'il commet des crimes. Seulement, les barreaux doivent être informés des affaires impliquant des avocats. Quant au confrère de Tébessa, il n'a commis aucun crime ni infraction lors de l'exercice de sa profession. C'est un avocat militant pour les libertés et les droits de l'Homme. Tout ce qu'il a fait, c'est recevoir des clients, donc il doit bénéficier de l'immunité de la profession. J'ai également appris qu'un collègue de la wilaya d'Oran a été convoqué par la police et je qualifie cela de harcèlement envers les avocats. De plus, les barreaux devraient défendre les avocats et non pas laisser les autorités les harceler et appliquer la loi contre eux de manière arbitraire. Il y a également le cas d'avocats radiés par les barreaux. N'avez-vous pas le sentiment que les avocats sont aussi divisés que les journalistes, cela influe-t-il négativement sur l'exercice de votre profession ? Je n'ai pas assez d'information sur les cas de poursuites disciplinaires. Donc, je laisse aux confrères bâtonniers le soin de s'exprimer sur la question. J'espère juste que les barreaux ne poursuivront pas les avocats à cause de leur engagement pour la défense des détenus d'opinion, car ces avocats, par leurs actions, défendent l'Etat de droit, et les premiers à bénéficier de l'Etat de droit et de l'indépendance de la justice, ce sont les avocats eux-mêmes. Il existe des commissions de recours en cas de poursuite disciplinaire. Nous souhaitons que les commissions de recours rendent justice à chaque avocat.