Evoquer aujourd'hui le rôle du pharmacien d'officine, c'est incontestablement parler de sa relation avec les clients, les malades, plus particulièrement ceux désignés comme "les pharmaciens de quartier". Aujourd'hui à Oran, nombre de ces pharmaciens font face aux malades, et face à la dure réalité sociale, coincés qu'ils sont entre les pénuries de médicaments, allant des plus simples aux essentiels, et surtout la baisse du pouvoir d'achat des malades. Depuis des années, l'on sait que la couverture de la Sécurité sociale échappe à des milliers d'Algériennes et d'Algériens, malgré les quelque 13 millions de cartes Chifa en circulation. Acheter juste une partie de l'ordonnance délivrée par un médecin, parce que la facture est trop lourde, est une situation récurrente. Et voilà désormais que l'achat de "médicaments à crédit" et le crédit accordé par les petits commerçants de quartier s'additionnent souvent, comme nous l'ont confirmé des pharmaciens installés à la périphérie d'Oran. Pour ces derniers, le phénomène n'est, certes, pas nouveau, mais il se répète. "Sinon comment faire ? Il faut bien vendre à nos clients, leur permettre de se soigner et pour les pharmaciens qui n'ont pas de grande capacité financière, ils n'ont pas d'autre choix", nous ont-ils avoué. Cette baisse de pouvoir d'achat des malades a déjà été abordée par une étude, réalisée par le Snapap, montrant que les besoins de santé des familles étaient mensuellement de plus de 5 200 DA et cela en 2020. C'est une problématique venant se rajouter à la longue liste des médicaments introuvables, en rupture de stock, un casse-tête pour les pharmaciens, et surtout pour les malades, comme nous le confirme le président du Syndicat national algérien des pharmaciens d'officine (Snapo), M. Belambri. "Cette situation d'achat à crédit de médicaments est surtout le fait des citoyens n'ayant pas de couverture sociale. C'est vrai que cela existe et on le rencontre souvent. On a aussi des clients qui ne peuvent acheter que partiellement les médicaments prescrits", assure-t-il, regrettant une telle situation car, selon lui, "c'est un vrai problème car en achetant qu'une partie de l'ordonnance, le malade prend le risque de voir son traitement ne pas le couvrir et ne pas être efficace avec les risques de complications à venir".
Des médicaments en vente en ligne S'agissant des pénuries de médicaments touchant certains essentiels pour les malades chroniques ou comme les anticoagulants, l'insuline à effet rapide, des antibiotiques, des anti-inflammatoires ou encore le vaccin antitétanique etc., le Snapo parle d'une liste de plus de 80 médicaments en rupture, pour les DCI et ceux d'importation. Pour les pharmaciens, cette liste est bien plus longue. M. Belambri fait état alors des démarches du Snapo s'agissant de cette situation : "Nous sommes en liaison constante avec le ministère, en lui signalant la liste des médicaments indisponibles, mais cela devient récurrent, la liste nationale de médicaments fait l'objet d'actualisation régulière. Il y a beaucoup de médicaments qui sont désormais produits localement, et nous nous retrouvons face à une période transitoire. Il faudra attendre encore pour que le marché soit plus régulier, surtout avec le transfert des attributions du ministère de la Santé vers le ministère de l'Industrie pharmaceutique." Et notre interlocuteur de revenir à la réalité du pharmacien en déclarant que celui-ci fait "face aux malades, à des patients qui ont besoin de se soigner, nous sommes une profession de santé !", comme pour indiquer l'urgence d'une amélioration et d'une stabilité du marché. Mais le Snapo est encore interpellé par un autre problème et dénoncé par les pharmaciens, celui de la vente concomitante imposée par des fournisseurs profitant souvent de la situation de tension sur certains médicaments. Le Snapo, là encore, en appelle aux pouvoirs publics pour mieux contrôler le secteur de la distribution des grossistes qu'il qualifie ainsi : "Certains de ces grossistes ont des pratiques anti-déontologiques. Le pharmacien souffre beaucoup de ces ventes concomitantes imposées en pack, de la ségrégation entre pharmaciens bien situés et ceux dans des zones rurales ou enclavées, ceux ayant un gros chiffre d'affaires. Nous subissons ces pratiques de manière continue depuis des années et nous demandons aux pharmaciens de dénoncer ceux qui leur imposent ces ventes concomitantes." Mais le phénomène le plus grave qui explose ces dernières années, très peu évoqué officiellement, est la vente de médicaments sur internet sans aucun contrôle et au vu et au su de tout le monde. Des pharmaciens nous ont avoué que face à un besoin urgent d'un médicament introuvable, ils se sont rabattus sur ces sites de vente en ligne de médicaments d'importation. Face à l'ampleur de ce phénomène très inquiétant, le Snapo a décidé de réagir, il y a tout juste 24h, par le biais d'un communiqué où il est fait référence à cette situation. C'est la commission nationale de coordination du Snapo qui dénonce ainsi les ventes concomitantes. "La vente en ligne sur des pages web et sur les réseaux sociaux des médicaments, notamment ceux introduits de manière frauduleuse sur le territoire national, constitue un danger réel pour la santé de nos concitoyens", lit-on dans ledit document, ajoutant qu'il s'agit de "l'introduction de produits prohibés, non autorisés ou contrefaits". Ainsi, pour les pharmaciens, du moins pour une catégorie d'entre eux, l'urgence de réglementer et d'assainir le secteur du médicament est la principale attente, allant de pair avec un syndicat qu'ils souhaitent plus volontaire, pour ne pas dire plus engagé.