Mardi dernier, 22 février, il n'y a pas eu de signes d'une célébration de "la journée nationale de la fraternité et de la cohésion entre le peuple et son armée pour la démocratie" instituée par un décret de février 2020. Ce que l'on pouvait remarquer, c'était plutôt les marques d'un siège sécuritaire appliqué à toutes les grandes villes du pays.Partout, les précautions répressives habituellement prises les jours de Hirak étaient de mise : imposants déploiements de véhicules de police, les barrages filtrant sur les voies d'accès aux centres urbains, la surveillance des gares, arrêts de bus, bouches de métro..., les patrouilles, contrôles et interpellations de "suspects"... De fait, des arrestations en nombre indéterminé ont été opérées. Ce n'est donc point une commémoration de la "journée" du "Hirak béni", mais bien de sa répression, ou plutôt la répression de toute éventuelle velléité de manifestation publique, dont il était question. Quelques arrestations "préventives" avaient déjà eu lieu quelques jours avant même cette date anniversaire. En un mot, l'activité d'étouffement de la revendication populaire et de son expression, sous quelque forme que ce soit, s'est poursuivie et se poursuit encore. Elle n'a, en fait, pas connu de répit depuis le début du mouvement citoyen. Et lorsqu'après le 117e vendredi (14 mai 2021), les marches n'ont plus pu se tenir (sauf en Kabylie, pour quelques semaines supplémentaires), du fait de la lourde chape répressive, elle n'a toujours pas baissé d'intensité. Elle s'est même amplifiée, soutenue par un effort de production législative visant à adapter le code pénal à la nouvelle doctrine répressive. Peut-être parce qu'il sait que le mouvement populaire n'est, malgré tout, pas définitivement éteint ou peut-être parce qu'il appréhende sa résurrection imprévisible, le pouvoir donne finalement vie au Hirak en s'installant dans une gestion prioritairement orientée vers son étouffement. Cette gestion transparaît dans le harcèlement des catégories de citoyens et des organisations qui portent ou soutiennent ses revendications. Elle transparaît dans l'influence qu'elle a sur l'action politique telle qu'elle s'exerce dans d'autres domaines de la vie nationale : social, sport, diplomatie... Cette influence est perceptible dans la manière dont les autorités se préoccupent des problèmes sociaux des ménages modestes et des jeunes. Elle l'est aussi dans l'attention qu'ils portent au football d'élite, canalisateur de nos émotions collectives. Elle se discerne encore dans le fait que le pouvoir semble avoir renoncé à soigner l'image du régime au chapitre des libertés citoyennes, se montrant insensible aux blâmes des ONG et des structures onusiennes investies dans la défense des droits de l'Homme et mettant leurs réactions critiques sur le compte de la simple malveillance politique. Qu'est-ce qui fait qu'un pouvoir, pour assurer sa tranquillité politique, se sent en devoir de criminaliser l'action militante pacifique ? Pourquoi doit-il assumer, pour cela, et sur plus de deux ans, une moyenne permanente de trois cents détenus d'opinion ? Pourquoi cette fuite en avant dans un syndrome liberticide et répressif, alors même que sa légitimité repose sur des élections qui n'ont pas rassemblé des masses d'Algériens et, en particulier, sur une Constitution dont le référendum a subi l'abstention de 77% des électeurs ? Le régime a, un jour, "béni" le Hirak. Mais pour pouvoir continuer à le réprimer, il a décrété un Hirak "authentique". Celui-ci, ayant réalisé ses objectifs à travers la mise en place du régime lui-même, qui en est l'émanation, serait donc accompli. Toute manifestation n'a donc plus d'objet. Or, après dix mois d'empêchement de ses marches, ce sont les mêmes activistes, les mêmes hirakistes, qu'on continue à traquer. Alors, pour combien de temps devra-t-on répondre à la contestation par sa répression ?Tout se passe comme si, au lieu de s'employer à structurer sa légitimité, le système compense sa remise en cause par le bâillonnement de son opposition et de sa remise en cause en réprimant, en censurant et en distillant la peur. Maintenant installé dans son fonctionnement répressif, le pouvoir semble y trouver quelque confort politique. L'inquiétant est qu'on ne voie pas de signes d'une volonté de dépasser cette impasse autoritariste.