Rachid Mimouni était étroitement lié à son enfance pauvre, à sa jeunesse difficile, à son lopin de terre perdu sur les hauteurs de Boudouaou, où il a bravé, des années durant, l'aigreur de la vie. “J'ai décidé de partir pour le Maroc, pour Tanger précisément, parce que dans cette dernière ville, je peux sentir les mêmes odeurs qu'ici, voir des bâtisses qui ressemblent aux nôtres, et surtout, surtout, rencontrer des gens qui ont les mêmes traditions que le peuple algérien. Je suis un écrivain du terroir, et je veux le rester jusqu'à la fin de mes jours.” C'est ce que disait Rachid Mimouni à son ami Djillali Khellas, quelques jours avant son départ au Maroc. Rachid ne voulait pas se séparer d'un pays alors meurtri, il ne voulait pas quitter sa mère malade qu'il aimait tant ou ses trois sœurs avec lesquelles il a partagé l'inconfort de la vie. Il ne voulait non plus quitter Boumerdès où 5 km plus loin, à Sidi M'hamed de Boudouaou, reposait un père qu'il a toujours affectionné. Ce père qui lui rappelle ces randonnées dans la ville d'Alma (Boudouaou) chaque dimanche, alors qu'il n'était qu'un petit enfant. Le petit Rachid s'accrochait au pantalon de son père et contemplait, les yeux grands ouverts, ces trottoirs encombrés d'hommes vêtus de djellabas et burnous comme son père et dont certains traînaient derrière eux des bêtes de toutes sortes pendant que la place de l'Eglise était envahie, elle, uniquement d'Européens qui jouaient à la pétanque. Rachid ne savait pas encore que ce tableau où Français et Algériens étaient séparés allait se prolonger jusqu'à son école Jules-Ferry (actuellement CEM) qu'il fréquenta de 1957 à 1960. Et lorsque son père l'emmena quelques jours après à cet établissement, il découvre encore cette “séparation” et cette ségrégation. L'école était divisée en deux, une partie aux Européens et l'autre aux indigènes. Cette phrase sera d'ailleurs reprise par l'écrivain dans une interview à France inter en 1994. Rachid se sentait plus “indigène” que tous ses camarades puisque il était le seul, sur plus de 30 élèves “arabes”, à ne pas être citadin. Il était le seul à effectuer chaque matin un trajet de plus de 6 km pour rejoindre l'école. C'était très pénible pour lui d'autant plus que son enseignant, Pellerin Marcel, était un homme sévère qui ne badinait pas avec la discipline. Il apprendra plus tard que son enseignant assurait la sécurité de la ville face aux incursions fréquentes d'un redoutable groupe du FLN, mené par les deux frères Aoudia. Il commençait alors à prendre conscience des raisons de la ségrégation qui frappait son école et la ville. Il sera davantage éclairé lorsqu'un de ses meilleurs amis fut chassé de l'école pour la simple raison que son père avait pris le maquis. À l'Indépendance, Rachid se trouvait à Rouiba où il a été admis pour poursuivre ses études. Et là, c'est une autre étape de sa vie qui commence. Elle est plus difficile mais pleine d'enseignement. Les études exigeaient plus de moyens financiers et Rachid devait compter sur ses propres moyens pour assurer ses études. C'est ainsi qu'il découvre les vendanges, la cueillette du tabac chez les fermiers Benoît Aloy, Antoine Ferrer ou Puget Jean. Tout jeune, Rachid étudie et travaille en même temps pour subvenir aux besoins de sa famille, car son père, cantonnier aux ponts et chaussées, arrive difficilement à joindre les deux bouts. Une fois grand et après avoir terminé ses études qui l'ont un peu éloigné de l'ambiance familiale, il retourna à Boudouaou pour construire une petite maison sobre qu'il ne quittera pas totalement, bien qu'il était installé dans un appartement à Boumerdès. Car c'est à Boudouaou, à l'école Jules-Ferry, dans ce coin perdu de Ben Adjel qu'“une paix à vivre” a réellement commencé à voir le jour. M. T.