À l'impossible, nul n'est tenu. Si “les opinions publiques des deux côtés de la Méditerranée” ne sont pas “préparées” à un traité d'amitié, comme le dit notre ministre des Affaires étrangères, qu'est-ce qui l'oblige à le signer ? Que viennent faire les opinions dans cette histoire ? Ce sont les deux gouvernements qui ont fait l'annonce réitérée, des années durant, d'une “refondation des relations”, de “partenariat d'exception” et d'un traité d'amitié dont la date de signature a été fixée puis repoussée. Il a fallu improviser une vague “Déclaration d'Alger” pour masquer le report continu de la signature du traité, histoire de faire patienter les candides adeptes de débordantes retrouvailles. Il est difficile de cerner d'ici les contours d'une éventuelle opinion française sur la question des relations transméditerranéennes. Mais en Algérie, le sens commun a perçu la virtualité d'un traité d'amitié comme une avancée contre l'enclavement relatif que vit le pays. Si l'on quitte le terrain du discours politisant, rien de plus normal que les Algériens s'intéressent à leurs rapports avec un pays qu'ils sont si nombreux à visiter : c'est par milliers qu'ils y entrent et en sortent chaque jour, faisant du billet Alger-Paris le titre de voyage le plus cher du monde. D'ailleurs les deux compagnies nationales d'aviation ne se gênent pas d'en profiter avec un complice accord. Comme quoi la connivence n'attend pas les traités pour faire ami-ami. Quand on a pu préparer une opinion à l'impunité des terroristes, on peut bien lui vendre un traité contre lequel elle n'a, au demeurant, exprimé aucune objection durant ces quelques années de propagande. L'opinion attendait un traité sur lequel elle n'a pas été consultée. N'est-ce pas que le traité a été proclamé comme achevé et qu'il ne restait que quelques passages d'appoint à finaliser ? C'est un accord “entre les deux peuples, entre les deux Etats et non entre les deux chefs d'Etat” qu'il nous faut, a ajouté Bedjaoui. Rien n'a cependant été fait pour qu'il en soit ainsi. La preuve en est que nous sommes contraints à spéculer pour deviner ce qui est à l'origine de la soudaine panne du processus de rapprochement. Les deux Présidents se sont contentés de brandir, au fil des cérémonies, ce traité à venir comme une réalisation réciproque qui devrait changer le cours de l'histoire commune. Brandi comme un trophée partagé, un triomphe anticipé, le fameux traité devait ajouter à leur légitimité d'hommes de grands desseins. Bien sûr qu'il doit y avoir de bonnes raisons de suspendre l'approche. Mais cela veut dire qu'on a mis la charrue avant les bœufs, les toasts avant leur objet. On a célébré sa signature prochaine avant de le rédiger. Les toasts étaient devenus l'objectif et le traité leur prétexte. L'opinion, si elle existe, aura donc été exaltée et promenée par deux gouvernements qui, avant de faire le travail de fond, ont commencé à s'encenser mutuellement au sujet d'une œuvre commune indéfiniment reportée. Au lieu de se rabattre sur l'alibi des opinions impréparées, peut-être faudrait-il se demander si les pouvoirs “des deux côtés de la Méditerranée” sont aptes à aborder des tâches d'une telle ampleur. M. H.