Cette institution de régulation internationale, mise en place au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, joue sa survie. Jamais sans doute dans l'histoire de l'Organisation des Nations unies, le malaise n'a été aussi profond. Confrontée à des crises majeures, comme celles induites par la guerre froide, en Corée, en Egypte, à Cuba… elle a survécu tant bien que mal à la bipolarité Est-Ouest. Souvent décriée pour son suivisme et pour son inutilité, elle est restée, pour les plus faibles, l'ultime recours au diktat des plus forts. En 1945, à Yalta, quand Staline, Roosevelt et Churchill avaient décidé de ressusciter sous un autre nom la Société des Nations (SDN) en lui conférant le rôle de gendarme de la planète, une nouvelle ère s'ouvrait. Son activisme en faveur du droit des peuples à l'autodétermination a rehaussé l'image de l'ONU. Or, tout comme la SDN n'avait pas réussi à empêcher la Première Guerre mondiale, elle péchera à son tour par son incapacité d'assurer la stabilité dans le monde en réglant les conflits entre nations par la voie pacifique. Des guerres ont eu lieu contre son gré, elle en a cautionné d'autres par la volonté des plus puissants de ses membres, mais celle qui se profile à l'horizon est la plus dangereuse pour son existence. L'ONU est tout bonnement menacée d'implosion. En proie à un véritable schisme, elle est frappée en plein cœur. Au Conseil de sécurité, son instance suprême, deux membres permanents au moins, la France et la Russie, sont contre une intervention militaire en Irak. La Chine pourrait se joindre, dit-on, à leur décision d'utiliser le veto pour empêcher les Etats-Unis et la Grande-Bretagne d'aller en guerre. Seulement voilà, une telle opposition ne semble guère infléchir les deux alliés anglo-saxons. A la Maison-Blanche, G. W. Bush crie à qui veut l'entendre que la deuxième campagne du Golfe aura bien lieu, avec ou sans l'aval de l'organisation onusienne. Même victime d'une fronde parlementaire dans les rangs même de son parti et fustigé par une opinion publique hostile, le Premier ministre britannique Tony Blair se montre également intraitable. Hier encore, il s'est emporté contre l'éventualité d'un veto qui permettrait, selon lui, au président irakien Saddam Hussein “de se tirer d'affaire”. Une campagne de discrédit que la France, chef de file des contestataires récuse. Dans une dernière sortie médiatique lundi soir, le président français Jacques Chirac a de nouveau insisté sur le fait que la guerre est la pire des solutions, que le désarmement de l'Irak ne nécessite pas une action armée, qu'il faut faire confiance au travail de la commission Blix instituée à cet effet… Afin de porter la voix des Fançais, le locataire de l'Elysée n'exclut pas de se rendre à l'ONU pour le vote de la seconde résolution sur l'Irak. Le Chancelier allemand, Gérard Schroeder, y sera. Le fait est inédit. Censée gérer les conflits, l'institution de Yalta est devenue une arène de combat. Peu importe qui l'emportera, l'ONU est torpillée. Ce ne sont guère les assurances de son secrétaire général Koffi Anan qui pourraient y changer grand-chose. De La Haye, il estimait hier “qu'un veto français ne signifiait pas la fin des Nations unies”. D'autres que lui pensent, en revanche, qu'une telle éventualité remettrait en cause tous les instruments de régulation hérités de l'après-guerre. En effet, si l'Amérique envahit le Golfe sans l'accord de l'ONU, elle se passera volontiers par la suite dans son aspiration à devenir le nouveau gendarme du monde. S. L.