Les saisies représentent 15% de l'ensemble. 91% des consommateurs ont goûté à la drogue quand ils avaient entre 12 et 15 ans. Dans une enquête menée dans 36 établissements scolaires à Alger en 2005, 17% des garçons âgés de 15 et 16 avouent être des consommateurs de cannabis. 2% sont des filles. Outre qu'elle est cette route du haschich par où passent des convois venant du Maroc, l'Algérie est devenue un marché prospère où les trafiquants font volontiers une halte pour vendre leur marchandise. “Nous sommes passés d'un pays de transit en pays de consommation”, martèle Abdelmalek Sayeh, nouveau directeur général de l'Office national de lutte contre la drogue et la toxicomanie. Depuis hier, il dirige les travaux d'une conférence internationale de deux jours au Cercle national de l'armée à Béni-Messous sur le rôle de la recherche scientifique dans l'élaboration des politiques de lutte contre le commerce et la consommation des stupéfiants. Des invités de haute facture participent à cette rencontre organisée sous l'égide du ministère de la Justice. Le Groupe Pompidou du Conseil de l'Europe a délégué certains de ses membres dont son directeur exécutif. Un représentant de l'Observatoire français de lutte contre la drogue compte également parmi les participants. Du côté national, des officiers des corps de la police, scientifique notamment, de la gendarmerie et de la douane, des praticiens et des éducateurs ont été conviés en vue de s'imprégner des méthodes de prévention et de répression en vogue outre-Méditerranée. L'ampleur du marché et l'impuissance des autorités à le démanteler appellent à une refonte de la stratégie arrêtée. Sans qu'il soit évalué avec précision, le commerce des stupéfiants est un réel fléau. “Les saisies représentent uniquement 15% de l'ensemble des produits en circulation”, avertit Aïssa Kasmi, directeur de la coopération internationale à l'office. La première alerte donnée remonte à 1975. La confiscation de 3 tonnes de résine de cannabis a inspiré la première loi de la République algérienne concernant la lutte contre le trafic des stupéfiants. Plusieurs textes, dont les derniers de 2004, 2005 et 2006 confirmant la connexion entre les réseaux de trafiquants, de contrebandiers et de terrorisme comportent des clauses très répressives. Cependant, cet arsenal législatif semble incapable d'intimider les barons. En dépit de quelques fluctuations, les confiscations demeurent le révélateur par excellence de la prospérité du marché. Environ 80 tonnes de résine de cannabis ont été saisies depuis 15 ans. Le pic avait été atteint en 2004 avec 12,373 tonnes saisies. Durant le 1er semestre de cette année, une baisse notable est enregistrée. Seulement 2,541 tonnes ont été interceptées. Loin de correspondre à une vigilance plus accrue des services de sécurité, l'augmentation des séquestrations dévoile plutôt une recrudescence du trafic. Certes durant les années de terrorisme, les différents services de sécurité, trop occupés à restaurer la paix civile, ont baissé la garde. De l'avis de M. Salah Abdenouri, directeur d'analyses, de synthèse et d'évaluation à l'office, un tel fléchissement a largement contribué à la consolidation des réseaux. En cela encore, les chiffres sont éloquents. De 1994 à 2004, environ 100 000 personnes ont été arrêtées et traduites devant les tribunaux pour des affaires de trafic de drogue. Pour la seule année 2003, 14 032 individus sont tombés entre les mains de la police et de la gendarmerie. Les trafiquants âgés de 25 à 35 ans représentent 43,11% des interpellés. Les consommateurs dans leur grande majorité ont goûté à la drogue à un âge beaucoup plus précoce. Selon M. Kasmi, 91% ont fumé leur premier joint quand ils avaient entre 12 et 15 ans. 96% ont commencé par s'adonner au tabac. Les moins nantis se rabattent sur des substances bon marché qui font la spécificité des pays du Sud. La colle, les solvants, les carburants, les gaz et les propulseurs des bombes aérosols sont les produits les plus prisés. Les enfants scolarisés ne sont guère prémunis par ce genre de tentations. Soumaya Zeghrouni, médecin à l'hôpital de Tizi Ouzou, a mené en janvier et en février 2005 une enquête sur la consommation des médicaments, de l'alcool et des stupéfiants en milieu scolaire à Alger (auprès de 3 000 sondés de 36 établissements). Cette expertise réalisée en collaboration avec le ministère de l'Education et dans le cadre du Mediterranean School Survey Project on Alcohol and Other Drugs (MEDSPAD-Algérie) a abouti à des résultats époustouflants. 17% des garçons (âgés de 15 et 16 ans) et 2% de filles avouent avoir pris du cannabis durant cette année-là. La prévalence en ce qui concerne l'usage de psychotropes est pratiquement identique (13% et 15%) chez les collégiens des deux sexes. Si les antidépresseurs de toutes sortes sont procurés en pharmacie, le cannabis transite par la frontière ouest. À ce propos, M. Kasmi révèle que 73,87% des cargaisons sont en situation de transit alors que 26,13% sont injectés dans le marché local. Les ports et les frontières terrestres algériens sont les couloirs de convoyeurs. Les voies maritimes servent à alimenter le marché européen. De son côté, le tronçon qui s'étale du Sud marocain à la Tunisie en passant par El-Bayadh, Naâma, Ouargla et El-Oued constitue la route de choix pour la Tunisie. N'entendant pas se résigner à la fatalité, les pays européens se serrent les coudes. Le Groupe Pompidou (du nom de l'ancien président français qui en est l'initiateur) est un organisme intergouvernemental fort de 35 Etats membres. Son directeur exécutif, Christopher Luckett, est intervenu à l'ouverture de la conférence avec le désir de jeter les ponts de la coopération sur la rive sud. Aussi a-t-il préconisé la mise en place d'un réseau d'échanges entre les pays du pourtour méditerranéen. Samia Lokmane