El Khalifa Bank n'a pas seulement violé les règles prudentielles édictées par la loi sur la monnaie et le crédit au cours de sa courte existence, sa création même ne répond pas aux normes juridiques exigées par la loi. C'est ce qu'a démontré, hier, l'audition par le tribunal criminel près la cour de Blida de l'accusé, Maître Amar Rahal, notaire de son état. Il a mis en avant son “ignorance” des règlements bancaires, se cachant derrière les dispositions du code de commerce. Le tribunal criminel près la cour de Blida a repris hier l'examen de l'affaire de la caisse principale d'El Khalifa Bank. Une matinée marquée par l'audition de Me Amar Rahal, le notaire qui a délivré l'acte constitutif d'El Khalifa Bank, le 12 avril 1998. Un acte qui a été suivi de la remise par le gouverneur de la Banque d'Algérie de l'agrément d'El Khalifa Bank en date du 27 juillet 1998. Une conclusion ressort de l'examen de cet élément essentiel à la genèse d'El Khalifa Bank, celle du non-respect des lois et des règlements en vigueur à l'époque de la création de l'établissement. Une conclusion que le tribunal a mis toute la matinée à démontrer. La présidente et le parquet se sont intéressés à des aspects particuliers de l'acte constitutif d'El Khalifa Bank tels que les fondateurs, les signataires, le capital et certaines clauses spécifiques aux établissements bancaires. Le capital de la banque fixé à 500 millions de DA n'a jamais été entièrement déposé auprès du Trésor public de Tipasa, comme le prévoit la loi. “Qu'avez-vous mis dans l'acte concernant le capital ?” demandera la présidente. “Qu'il a été procédé à la réunion et à la libération de 125 millions de DA, ce qui correspond au quart du capital…”'. Le montant reçu par le Trésor est inférieur, selon les investigations, au quart du capital exigé et devant servir de dépôt de garantie en cas de dissolution ou de faillite de l'établissement. 85 millions de dinars déposés en 1998. “Le montant reçu ne correspond pas au montant déclaré par Abdelmoumen Khalifa pour la constitution de sa banque. Il n'a pas libéré la somme exigée par la loi en une seule fois… La loi dit quoi sur le capital des banques ?” demandera-t-elle. “Elle prévoit que le cinquième du quart du capital soit versé au Trésor public...”, répondra le notaire qui mettra en avant que Khalifa a effectué trois dépôts par chèques l'un en 1998, les autres en 2000 et 2001 pour la constitution d'El Khalifa Bank et de ses filiales. Il niera toutefois l'obligation de dépôt de garantie d'une partie du capital de la banque. Concernant la modification de l'acte constitutif au mois de septembre 1998, par un autre acte, le vieux notaire dira que cette décision a été prise entre les associés seuls. “Non, par devant vous puisque vous avez rédigé l'acte. Mais Khalifa vous a-t-il présenté l'aval du Conseil de la monnaie et du crédit avant comme le stipule la loi avant ce genre de modifications ?” interrogera la présidente. “Ce n'est pas un étranger, c'est un fondateur… Ce sont des dispositions bancaires que j'ignorais…”, arguera le notaire. “J'ignorais les lois bancaires…” Une déclaration qui provoquera la stupeur de la magistrate. “Vous êtes notaire et vous me dites que vous ignoriez la loi ? Où est l'Etat de droit ?” dira-t-elle. Ce n'est pas une obligation, rétorquera Me Rahal. “Si Monsieur, c'est une obligation et vous le savez pertinemment… L'aval du conseil est obligatoire avant tout changement dans l'acte constitutif touchant les associés, le capital, le conseil d'administration et le P-DG de l'établissement, sachant que le capital reste en garantie pour les clients. Il y a des dispositions légales spécifiques. Si vous, en qualité de notaire vous aviez respecté ça, les gens auraient pu récupérer leur argent à la liquidation de la banque... C'est vous et le gouverneur de la Banque d'Algérie qui donnaient naissance à la banque”, relèvera Mme Brahimi. Elle mettra en avant que cet argent provient de la mise sous hypothèque d'une villa appartenant à Laroussi Khalifa sise à Hydra et la pharmacie de Khalifa à Chéraga. “Ces deux actes sont sortis de votre étude notariale, ils portent votre cachet, mais l'expertise a démontré qu'il ne s'agit pas de votre signature…”, informera la magistrate qui demandera par ailleurs qu'on apporte une chaise et une bouteille d'eau pour Me Rahal. “Je n'en ai jamais entendu parlé, je ne suis pas responsable de ceux qui ont fait ça…”, dira le notaire. Elle relèvera sa responsabilité sur son cachet. La présidente reviendra sur la modification des statuts d'El Khalifa Bank en septembre 1998. “Vous avez donné l'acte sans l'accord préalable du gouverneur de la Banque d'Algérie…”, dira-t-elle. “Ce sont des dispositions bancaires que j'ignorais. Sabhan Allah, ce n'est pas une loi commune…”, répondra le notaire. Revenant à la charge, la magistrate demandera au notaire à quel moment l'acte constitutif est remis aux associés. “Dès qu'ils ramènent le registre du commerce...”, dira-t-il. Non, précisera la présidente du tribunal, quand ils vous prouvent qu'ils ont déposé le capital au Trésor public. “Il est arrivé un temps où un notaire dit qu'il ignore la loi… Est-ce que Khalifa est la première banque dont vous avez écrit les actes ?” interrogera-t-elle. Non, dira le vieux notaire. Il reviendra sur sa déclaration par la suite. “C'était la première fois que je notifiais la création d'une banque”. Il reviendra par la suite au procureur général de procéder à l'audition de l'accusé. “Si Rahal où se situait votre bureau à ce moment-là ?” attaquera le PG. Après moult hésitations, le vieux notaire dira : “Euh, la pharmacie de Khalifa était en dessous et moi au-dessus...” Abdelmoumen Khalifa s'est présenté chez lui, accompagné de son oncle Ghazi Kebache pour la constitution de la banque. “Est-ce que la femme de Khalifa a assisté pour l'acte de constitution ? La signature s'est faite devant vous où on vous l'a ramenée ? Sa mère était également présente ? Tous les membres fondateurs ont assisté ? Les neuf ?” demandera le PG. La réponse a été affirmative. “Ceux qui ont signé l'acte n'ont jamais contesté… Il ne lui manque rien, il est conforme”, dira le notaire qui a rédigé également les actes de 8 filiales d'El Khalifa Bank sur les dix existant. S'en est suivie une série de questions sur le capital de la banque, l'acte constitutif et sa modification. “Il n'y a pas eu de mal…” La présidente est intervenue pour rappeler à Me Rahal ses dires. “La disposition concernant l'aval de la commission bancaire vous l'ignoriez. Vous avez donné les actes après la délivrance du registre du commerce comme à ceux qui vendent les journaux ou de l'alimentation générale…” Me Rahal reconnaîtra encore son ignorance, tout en précisant “qu'il n'y a pas eu de mal…” “Il n'y a pas eu de mal ? Rien ?” relèvera la présidente qui lui rappellera le non-respect des règlements et le fait que l'acte d'hypothèque de la villa est “faux, imaginaire et qu'il n'a même pas été enregistré”. “Convainquez-moi Maître, que dit la loi, je vous rappelle que vous êtes un homme de loi…”, exhortera-t-elle. Semblant excédé, Me Rahal répondra qu'elle ne le laisse pas parler. “Je parle du statut d'une banque et vous me sortez le code de commerce pour des sociétés commerciales”, dira-t-elle. “Comment pouvez-vous me dire que vous avez appliqué l'article 156 du code de commerce relatif aux sociétés par actions alors que les banques ont un statut spécifique et qu'elles se plient à la loi sur la monnaie et le crédit ? Il ne va pas vendre un paquet de cigarettes ou une boîte d'allumettes, il va détenir l'argent des gens”, demandera excédée la magistrate qui prendra à témoins les avocats. Me Rahal continue pour sa part à déblatérer sur l'article 156 du code de commerce. “Excusez-moi Si Rahal, le capital est déposé auprès du Trésor qui donne aux associés un reçu. L'argent reste en garantie. Si vous ne connaissez pas la loi c'est autre chose”, précisera Mme Brahimi. Le PG mettra en avant la différence du nombre d'actions entre l'acte constitutif et celui le modifiant. L'accusé répondra que “c'est une faute matérielle, ce n'est pas de la fraude…” Le PG le mettra devant ses responsabilités en citant la disposition relative à la libération du capital dans l'acte modifiant l'acte constitutif d'El Khalifa Bank faisant référence aux règlements de la Banque d'Algérie. “Même les 3/4 du capital n'ont même pas été payés par la suite. Pourquoi vous dites le contraire dans l'acte ?” demandera le magistrat. La présidente ne manquera pas de revenir sur ce point. “Dans cet acte, vous faites référence aux réglementaires de la BA pour la libération du capital, vous ne deviez pas ignorer la loi autant que ça. Il y a également des conditions spécifiques à la personne qui veut créer une banque. Est-ce que le petit jeune du coin de 22 ans, 24 ans peut venir vous voir pour ça ?” dira-t-elle. “Je ne sais pas”, se contentera de répondre le notaire. “C'est aberrant qu'un notaire me dise ça, c'est malheureux… Je ne doute pas de votre intégrité, je pense Si Rahal que vous n'êtes pas à jour de la réglementation, c'est ce qui manque et c'est ce qui a posé problème…”, dira la magistrate. “Il avait une bonne réputation…” Elle l'interrogera par la suite sur la provenance du capital des filiales d'El Khalifa Bank. “Oh c'était quelqu'un de bien, apprécié de beaucoup, je l'ai vu plusieurs fois… il avait bonne réputation...” Une réflexion qui fera réagir la présidente. “Oh laissez la bonne réputation, elle ne paye pas de mine… Si vous aviez appliqué les conditions juridiques au capital, à l'autorisation préalable de la Banque d'Algérie, je ne vous aurais pas ramené, ni entendu… Ce sont des dispositions générales à toutes les banques et celles qui ne les ont pas appliquées ont connu le même sort… La loi existe mais vous ne l'avez pas appliquée, vous n'avez pas obligé Khalifa et ses associés à libérer le capital”, dira-t-elle. Elle reviendra à la charge sur la sœur de Rafik Khalifa, associé fondateur selon l'acte mais qui réside au Maroc. Etait-elle présente ? Oui, répond le notaire. “Non elle n'est pas venue en Algérie depuis des années en raison de la scolarité de ses enfants…” Quelque peu dérangé par les questions du parquet, l'accusé refusera d'y répondre. “Vous n'avez pas respecté et appliqué la loi bancaire dans l'acte constitutif. La banque a été constituée sur quelque chose d'illégale…”, relèvera la présidente. Les infractions se sont également poursuivies avec la création des filiales où El Khalifa Bank détenait 50% du capital. “D'où provenait l'argent du capital ?” demanderont les magistrats. L'argent déposé en 2000 couvrait, selon Me Rahal, le capital des filiales. Y a-t-il eu l'aval de la commission bancaire ? Vous ont-ils donné le reçu de dépôt du capital pour El Khalifa Bank ? “Oui”, répondra Me Rahal. La présidente s'énerve et le met au “défi” de lui présenter un quelconque acte. “Vous n'ignorez pas la loi, vous la connaissez parfaitement…”, dira-t-elle. Il faut reconnaître que Me Rahal aura mis la patience de la présidente et le PG à mal. Le procès s'est poursuivi dans l'après-midi avec l'audition de Djamel Guelimi ancien inspecteur général de Khalifa Airways en France et P-DG de KTV. Condamné dans l'affaire de la fuite des capitaux ayant entraîné la chute de l'empire Khalifa en 2003, il a servi durant les années 90 en qualité de clerc de notaire de Rahal, son niveau ne dépasse pas la 3e. Il est accusé d'avoir réalisé les deux actes hypothécaires falsifiés ayant servi pour le prêt de la BDL. À la barre, il dira que Khalifa, un ami personnel et voisin, l'a approché pour la constitution des associés, il lui présentera son père qui deviendra associé fondateur d'El Khalifa Bank. Omar Guelimi sera d'ailleurs entendu par le tribunal en sa qualité de témoin. Ayant démontré sa bonne foi et une lettre de démission envoyée à Khalifa, il n'a pas été poursuivi. Il reconnaîtra, sans nier sa responsabilité, que Khalifa s'est servi de lui comme de Ali Kaci. “Je pensais que je savais, mais laâboubya Esseghar....”, dira-t-il. Et il n'est pas le seul. Absence remarquée des Keramane Avant de reprendre les auditions du procès de la caisse principale d'El Khalifa Bank, le tribunal criminel a relevé hier l'absence des trois accusés Abdenour, Abdelwahab et Yasmine Keramane. La présidente du tribunal a pris les dispositions réglementaires en cas d'absence selon l'article 317 du code de procédure. Celui-ci stipule que les trois accusés ont un délai de 10 jours à compter de la décision, soit du 9 janvier 2006, pour se présenter devant le tribunal. Ils seront probablement jugés par contumace à la fin du procès au vu de la décision des trois Keramane de ne pas se présenter devant la justice. Samar Smati