L'humanité s'est façonnée à travers les flux migratoires et a généré sans cesse des recompositions sociales. Pourtant, le regard a changé lorsque les règles du jeu ont été modifiées, essentiellement après l'émergence des frontières et l'apparition des Etats nations. Désormais, les flux migratoires, jusque-là considérés comme des mouvements naturels, sont vus sous l'angle de l'intérêt national : ils sont par conséquent plus surveillés et plus orientés. Mais, est-il normal qu'un cinquième de la population mondiale possède les quatre cinquièmes de la production des richesses ? Hier, lors du Forum d'El Moudjahid, Malek Serraï, Mohammed Laïchoubi, le Dr Layachi et Zahir Farès, ainsi que Bachir Benbouzid, respectivement consultant international, ex-ambassadeur, ex-président du Croissant-Rouge algérien, cadre au Conseil national économique et social (Cnes) et cadre au ministère du Travail, se sont penchés sur la problématique des flux migratoires. Selon M. Serraï, les flux migratoires ont produit “globalement quelque 250 milliards de dollars” au développement mondial, soit “un apport plus important” que l'aide présentée par les pays du Nord à ceux du Sud. Si l'on en croit cet expert, “l'immigration interne en Afrique est plus importante que les flux migratoires intracontinentaux”. Pour preuve, a-t-il déclaré, les flux migratoires sont plus importants de l'Asie vers l'Europe ou vers les Amériques. L'Europe se place, en effet, comme le premier continent de la migration, puisque 56 millions personnes ont immigré en Europe et dans l'ex-URSS, ce qui représente près de 7,5% de la population européenne. Viennent ensuite l'Asie qui accueille quelque 49 millions de personnes, les Etats-Unis avec 40 millions d'étrangers, l'Afrique avec 16 millions et l'Amérique latine avec 6 millions. Pour le représentant du Cnes, “l'Europe a besoin de 25 millions de personnes en plus pour les 25 années à venir”, alors qu'elle tend à culpabiliser les pays du Sud. “On a utilisé la dette comme moyen pour culpabiliser les pays en développement et choisir la main-d'œuvre qui les intéresse”, a indiqué M. Farès, et de relever plus loin : “La migration clandestine n'est pas spontanée, elle est manipulée au départ par les pays développés.” De son côte, l'ex-président du Croissant-Rouge algérien a mis en exergue l'égoïsme dont fait preuve l'Occident aujourd'hui, estimant que celui-ci s'empresse de traiter les étrangers “de barbares et de terroristes” dès que l'on touche à son confort. “La globalisation mondiale a accentué les inégalités entre le Nord et le Sud”, a affirmé M. Ayachi, notant que les Européens “veulent nous imposer leurs règles”. Mohamed Laïchoubi a, pour sa part, énuméré certaines causes à l'origine des flux migratoires tels que la colonisation, les catastrophes naturelles, la dette extérieure et l'ajustement structurel, les guerres, la famine, la sécheresse et les changements de régimes. “On a voulu plus parler d'un type de migration sans parler de l'autre type, celui où l'Occident est demandeur”, a déclaré l'ex-ministre du Travail, déplorant que des pays européens ne soient pas “sur les plans institutionnel et constitutionnel organisés pour la diversité, pour parler des compétences des pays du Sud et des droits des immigrants”. “Le mouvement des non-alignés, qui détenait l'éthique, avait culpabilisé les pays du Nord. Les stratèges ont inversé les choses”, a-t-il rappelé, faisant allusion à l'actuel ordre mondial. M. Laïchoubi a, en outre, attesté que sur les 192 millions d'immigrants, 48% sont des femmes, informant que les flux migratoires vont toucher 230 millions de personnes en 2050 sur une population mondiale estimée à 9 milliards. Il n'a pas omis de parler des conséquences de la fuite des cerveaux sur le développement des pays, en matière de connaissances, de formation et de compétences. Des pistes de réflexion à privilégier Concernant le cas de l'Algérie, des intervenants, à l'exemple de M. Serraï, ont mis en avant la politique “humaine” adoptée en direction des dizaines de centaines d'immigrés clandestins, soutenant que “40% d'entre eux viennent avec l'intention ferme de s'y installer, 40% utilisent le sol algérien comme pays de transit et 20% n'ont pas encore décidé s'il faut rester en Algérie ou regagner l'Europe”. D'après la Gendarmerie nationale, plus de 28 800 étrangers sont entrés clandestinement en Algérie, entre 1999 et 2003. S'agissant de la main-d'œuvre clandestine étrangère, surtout africaine, les chiffres font état de 7 000 personnes qui y viennent annuellement. La rencontre d'hier s'est achevée sur des recommandations. Les animateurs ont plaidé pour une nouvelle négociation sur l'immigration, entre l'Algérie et les pays occidentaux, qui prenne en compte l'avis algérien sur “les politiques alternatives” qui y sont offertes, dont l'aide publique au développement. D'aucuns ont attiré l'attention sur “le besoin d'expertise et de compétences”, ainsi que sur la recherche de choix de développement incluant “nos propres cohérences” et qui ne cautionne pas nécessairement “le système ultralibéral”. D'autres ont insisté sur “la rentabilisation du savoir-faire” des Algériens installés à l'étranger, la prise en compte du “coût de la formation des Algériens à l'étranger” et “la perte économique en raison de la non-utilisation de ces compétences nationales”. “Aujourd'hui, il faut privilégier les pistes de réflexion sur les droits des immigrants, la politique de coopération, les politiques de développement et la question de la qualification qui constitue un vrai problème pour l'Algérie”, a déclaré Mohamed Laïchoubi à Liberté. Ce dernier a aussi plaidé pour “une organisation d'entreprise” qui s'aligne sur celle des sociétés étrangères installées dans notre pays, en matière de salaire et de statut. Hafida Ameyar