Il est évident que l'écroulement du régime irakien ne représente qu'une courte séquence dans le scénario de la stratégie américaine. Des scènes de liesse et de pillage ont marqué la prise de Bagdad, dans l'après-midi d'hier, par les troupes de la coalition. Spectacle de populations hagardes et surexcitées, lancées à travers une cité sans maître, s'emparant de tout ce qui leur tombe sous la main puis, point d'orgue, comme si le temps se figeait, l'effondrement de la gigantesque statue de bronze de Saddam, arrachée de son piédestal par un char américain. La scène est bourrée de cette charge dramatique qui confère aux moments historiques leur épaisseur et un pouvoir émotionnel d'une extraordinaire densité. Quel que soit l'angle sous lequel on appréhende l'événement, quels que soient les mots par lesquels on tente d'en traduire le registre, c'est bien le destin d'un régime qui s'est accompli ce 9 avril 2003. Le régime est tombé qui a régné en maître absolu sur l'Irak durant près de 24 ans. L'image a vite fait le tour du monde, reprise en boucle par toutes les télévisions du monde, prolongée parfois par celle de la tête métallique du despote, traînée sur le bitume par une cohorte de jeunes exaltés. La capitale irakienne aura été conquise sans vraie résistance, même si, de l'avis de Dick Cheney, des combats difficiles sont encore possibles. Et tandis que la question du sort de Saddam a cessé de polariser l'attention, des voix commencent à s'élever pour exprimer différents ordres de préoccupations liés à l'avenir de l'Irak. S'il en est qui appellent à l'instauration d'un régime souverain, démocratique et respectueux des principes universels des droits de l'homme, d'autres, à l'instar du président égyptien, réclament au plus vite la prise en charge par le peuple irakien du gouvernement et de l'administration du pays. Le réalisme le plus élémentaire conduit à penser que les coalisés, et principalement des Américains, ne sont pas près de renoncer aux dividendes d'une guerre qu'ils ont menée au mépris de la réprobation internationale et du droit. Cette occupation de caractère colonial, redoutée par ceux des Irakiens qui ont applaudi à la chute du despote, risque d'être un fait accompli dans les prochains jours. Français, Allemands et Russes, quant à eux, ont déjà perçu la manœuvre. Revendiquant l'implication de l'ONU dans l'Irak d'après-Saddam, ils se concerteront ce vendredi sur les conditions du retour à un système où la communauté internationale aura son mot à dire et afin de prévenir l'avènement d'un monde unipolaire dominé par les USA. Il est évident que l'écroulement du régime irakien ne représente qu'une courte séquence dans le scénario de la stratégie américaine. La suite promet des surprises. M. A.