ll y a quelque chose de cynique dans ce “une-deux” verbeux et stérile que Bouteflika et Chirac entretiennent depuis deux ans. Que tu me reçoives en visite d'Etat à Paris et que je te fasse applaudir à Bab El-Oued ; que tu m'organises l'Année de l'Algérie en France et me rende ma visite avant l'échéance présidentielle et que je me présente au sommet de la francophonie…. Rien de néo-colonial dans tout cela. Juste un échange de bons procédés entre deux présidents-candidats et souverains, et quelques “pressions amicales”, selon la formule de Bouteflika. Le public regarde le troc diplomatico-médiatique comme on suit un match de tennis. C'est sans autre effet que l'enthousiasme du moment sur les spectateurs. Sur la question de la francophonie comme sur d'autres, on croirait que le président ne suggère l'initiative que pour mieux l'étouffer, sous le prétexte traditionnel du démon conservateur qu'on vient de réveiller. Son ministre des Affaires étrangères a déclaré à l'APS, le jour même où Bouteflika prononçait un discours devant les membres de l'Organisation internationale de la francophonie, que “la question de l'adhésion de l'Algérie ne se posait pas” au cours de ce sommet, rappelant l'étrange alibi de l'invitation personnelle du président libanais. Mais comme c'est le doute plutôt que la clarté des positions qui est recherché, il ajoutait que “nous y allons.” Pour aggraver la confusion, il nous sert le projet d'adhérer au… Commonwealth ! Comme cela, l'affaire aura tout d'une farce : on ajoute au possible l'invraisemblable. Et on sera les seuls, avec le Canada, à revendiquer cette double appartenance à deux espaces concurrents. Mais le Canada, on sait pourquoi. Ce qui intéresse le ministère dans cette idée qui ressemble plus à une boutade qu'à une sérieuse éventualité c'est, en plus de l'embrouillement des esprits, l'aspect populiste. Elle convient à la réplique instinctive des islamo-baâthistes chaque fois qu'il s'agit de la langue française : pourquoi pas l'anglais. L'anglais, première langue internationale, fait objection à tout statut du français qui, en plus d'être une langue moins dominante, porte le sceau de l'ancienne puissance coloniale. En complexant ainsi les tenants d'une place au français dans notre enseignement, c'est le message de l'élite progressiste, pour l'essentiel francisante, qu'on veut intercepter par une espèce de barrage linguistique entre générations. Le monopole de l'arabe, qu'un anglais baragouiné aura peu de chances de contester, assurera le monopole de l'idéologie qui, malheureusement, lui colle encore : le national-arabisme exalté, qui empêche le peuple de s'inspirer des progrès politiques qui se réalisent ailleurs. Le progrès, nos dirigeants préfèrent nous en parler, eux qui savent, mais refusent de nous voir le concevoir. Eux peuvent s'ouvrir au monde mais tout en nous gardant cloîtrés dans le carcan idéologique que leurs inspirateurs nous ont concoctés. C'est pourquoi ils préfèrent les forums circonstanciels aux conventions qui engagent. C'est ce qui explique, par exemple, que Bouteflika peut participer au sommet de la francophonie mais que l'Algérie ne peut participer à la francophonie. M. H.