31 décembre 2006-31 décembre 2007, une année déjà. 365 jours depuis le départ de la première vague de harragas de Annaba, annonciatrice d'un flux incroyable qui a surpris plus d'un et dans le pays et en Europe. Depuis ce jour-là, le nom de la ville rime plus avec l'émigration clandestine qu'avec sa coquetterie ou encore son fameux “djiti lal Annaba madjabtiche al maillot” (qui d'ailleurs énerve très souvent les enfants de la ville). Ce jour-là, alors que la fête battait son plein dans les restos et autres lieux pour le nouvel an, des jeunes (moyenne d'âge 20 ans environ) embarquaient sur des bateaux de pêche. Plus d'une trentaine d'embarcations, emportant environ 200 personnes, avaient quitté Annaba à partir de Sidi-Salem, quartier populaire très connu dans la région. Des chiffres sur lesquels tout le monde dans la ville est d'accord et que personne n'a pu contredire. La “légende” locale est catégorique sur le fait que tout le monde était arrivé à l'île de la Sardaigne, à 260 km, sains et saufs. Un succès qui avait soulevé une véritable surprise à Annaba, et le rêve a donc commencé. Depuis ce jour-là, des vagues successives quittaient le littoral pour les côtes italiennes. Tout un mode opératoire a été créé au fil des “voyages”. Jusqu'en octobre dernier environ, rien ne pouvait arrêter les jeunes Annabis de tenter leur chance et de partir. Les prix du “billet” étaient au début de 12 millions, puis c'est retombé jusqu'à 10 et même 8 millions de centimes quelques mois après. L'engouement était tel que dans la quasi-majorité des quartiers de Annaba, on n'arrivait à organiser des matches entre jeunes faute de… joueurs. C'est dire la proportion de ce phénomène dans la ville. Aussi, il suffisait d'assister aux matches de l'équipe locale pour être définitivement établi. Dans les gradins (et jusqu'à ce jour), le chant le plus repris en chœur à chaque rencontre c'est Sardinia… Aussi, la ville est devenue carrément La Mecque des harragas, détrônant largement Aïn Témouchent. Au fil des mois, de nombreux jeunes venant de plusieurs régions du pays arrivaient par vagues sur son littoral. Les gardes-côtes avaient ainsi pu intercepter plusieurs embarcations (de fortune dans la plupart des cas) avec à bord des jeunes Skikdis, Tébessis, mais surtout de très nombreux Algérois. Ces derniers étaient dans la quasi-majorité des Harrachis (très appréciés à Annaba à cause, dit-on des relations privilégiées qu'ont les supporters des deux clubs, l'USMAn et l'USMH). La “machine” a aussi ramené avec elle tout un “monde” en parallèle. En plus du trafic d'embarcations, des moteurs et des GPS, de véritables camps d'entraînement dans lesquels les candidats à la harga recevaient de véritables cours de navigation. Toutefois, ce phénomène a engendré avec lui beaucoup de malheurs. Le côté aventurier et romanesque n'était malheureusement pas le seul aspect. La mort et la disparition étaient souvent au bout du voyage. Plusieurs dizaines de personnes sont mortes et d'autres n'ont jusqu'à ce jour donné aucun signe de vie. D'ailleurs, un collectif des familles des harragas disparus a été créé depuis. Cependant, ses représentants, en l'occurrence Belabed et Sabouni (chacun d'eux a un fils qui n'est pas revenu de sa tentative de harga et qu'ils recherchent encore) ne trouvent aucune aide de la part des autorités locales et encore moins nationales. Malgré leurs efforts et leurs nombreuses tentatives, et ce, depuis plusieurs mois, rien de concret n'a été fait pour aider ces familles. Au contraire, elles n'ont eu en face d'elles dans la majorité des cas que du mépris. En tout cas, ce réveillon aura pour eux et pour de nombreuses familles annabies un goût des plus amers. L'ambiance sera morose, et il suffit d'aller du côté de Sidi-Salem chaque après-midi pour avoir une idée sur l'ampleur de ce drame. Chaque jour, en fin de journée, une vieille femme se met debout face à la mer et commence à manger du sable tout en pleurant son fils harraga qui n'a plus donné signe de vie depuis son départ. Salim KOUDIL