L'orientalisme occidental a été, et est toujours d'ailleurs, la tête pensante du colonialisme, du néocolonialisme et de l'impérialisme. Au XIXe siècle, E. Renan affirmait que la civilisation musulmane et en l'occurrence l'islam a produit l'homme le plus bête de l'Humanité. Par conséquent, la civilisation occidentale est une grande chance pour cet être barbare et lourd, et il est même de son devoir de le domestiquer par la colonisation, y compris par l'extermination comme en Algérie. Louis Massignon a été le conseiller du parti colonialiste pour les questions arabes (à titre d'information authentique vérifiable, L. Massignon est celui qui a brisé la vie du grand penseur algérien Mohammed Hamouda Bensaï, maître de Malek Bennabi). Ils sont nombreux et parlent de la même voix à l'encontre de l'Islam et des Arabes. A quelques exceptions près (comme Gustave Le Bon et Henry Corbin), ils ne reconnaissent pas que les Musulmans (Arabes et Perses) ont transmis la philosophie grecque au monde occidental. Aujourd'hui, dans la littérature philosophique occidentale, on admet comme vérité irréfutable que les Arabes et les Perses ont confondu Platon et Plotin et Aristote et Plotin. Alors que dans la réalité, les Arabes et les Perses ont donné un surnom selon les affinités et la profondeur de la pensée à chacun de ces philosophes grecs. Ils appellent Platon (Aflatoun elmoutaallih). Aristote, ils le considèrent comme (Elmouallem elaoual) et Plotin, ils l'appellent (Echeikh el younani). C'est comme cela qu'ils les connaissent sans qu'ils aient besoin de les appeler par leurs noms habituels. Ceci est une preuve suffisante de leur connaissance profonde de tous les penseurs de la tradition grecque. Les Arabes et les Perses n'ont pas seulement traduit et commenté l'héritage des Grecs, mais ils ont produit l'une des plus riches métaphysiques qui soient. C'est vrai que la production philosophique dans le monde arabe a connu un essoufflement, si bien que les Occidentaux comme Renan et Massignon ont estimé que la philosophie en terre d'Islam était achevée avec Averroès. Toutefois, la terre d'Islam contient le monde arabe et le monde perse, et la philosophie dans le monde perse continue jusqu'à nos jours avec ses spécificités, ses systèmes et ses concepts propres. En terre d'Islam, notamment le monde arabe, ce sont les monarchies sous l'impulsion des zélateurs comme Ahmed Ibn Hanbal, Ghazali Abou Hamed, Ibn Teymia et son élève Ibn Eldjaouzi, pour ne citer que les plus célèbres, qui ont presque interdit la philosophie en la considérant comme hérésie. C'est beaucoup pour des raisons politiques que la philosophie dans le monde arabe a connu des difficultés. Par contre, dans le monde perse, elle continue en raison de la prédisposition qu'avait ce monde avant son islamisation envers la philosophie et notamment la métaphysique. A tire indicatif, la Perse antéislamique avait des penseurs connus dans l'histoire de la pensée humaine. Nous pensons notamment à Zarathoustra. Le monde musulman arabe et perse est venu affirmer sa contribution à l'héritage philosophique de l'humanité. Nous prenons dans le cadre de cet article un seul exemple de problème philosophique (aporie) qui n'a pas trouvé de solution chez les Grecs, les théologiens juifs, chrétiens et musulmans, à savoir la création du monde et le temps pour prouver que la philosophie dans le monde musulman n'est pas morte contrairement à ce qui a été supposé par les orientalistes de l'Occident.Nous savons que la notion de temps « zaman » fait partie des catégories (elmakoulat elaachr) qu'Aristote a découvert, expliqué et développé. Ces catégories qui sont la substance, le temps, l'espace, le lieu, la quantité, la qualité, la relation, la position, l'action et la passion, sont tout simplement des lunettes qui nous permettent d'apercevoir, de définir, d'analyser, de juger, de constater, enfin de produire la connaissance. Les catégories aristotéliciennes ne sont pas de l'abstrait. Elles sont un outil qui nous permet de comprendre les réalités. Quand ont surgi les questions de la création du monde, la catégorie du temps a fait couler beaucoup d'encre entre philosophes et théologiens de toutes confessions. Aristote pour qui le temps est la mesure du mouvement (la mesure physique de la rotation des cieux) estime que le monde tout en étant créé dans le temps est éternel (le monde comme un tout est éternel mais ses composantes sont créées dans le temps physique). Cette explication reprise par des philosophes comme Fârâbî, Ibn Sina et Ibn Rochd est réfutée par les théologiens qui considèrent que le monde est créé dans le temps. Ceci est une aporie ou problème épistémologique. Des philosophes perses de l'Islam se sont penchés sur ce problème et lui ont trouvé une solution originale magistrale. Cela prouve que la philosophie en terre d'Islam n'est pas morte. Le pionnier de ces philosophes est Mir Damad Elastarabadi (mort en 1631-32 apr.J.C.) avec son élève Mollâ Sadr Elshirazi (mort en 1640-41). Mir Damad s'est occupé toute sa vie avec acharnement pour trouver une solution à ce monde qui se met à être dans le temps sans qu'il y ait encore le temps comme le voudraient les théologiens (les moutakallimoun), y compris les théologiens juifs et chrétiens. Il a ajouté à la catégorie aristotélicienne du temps pour expliquer la création du monde dans le temps deux autres catégories. Au-dessus du temps il y a une éternité qu'il appelle « Dahr », et au-dessus du «Dahr » il y a une réalité qu'il a intitulé « Sarmad », une sorte de pré et post éternité. Donc Mir Damad et Mollâ Sadr ont mis au jour deux catégories nouvelles : le dahr (éternité) et le sarmad (pré et post éternité) avec lesquelles ils expliquent la création du monde dans le temps, problème qui n'a jamais trouvé de solution sans leur apport personnel à eux deux. Mais Mollâ Sadr qui a continué l'œuvre de son maître Mir Damad y a ajouté un autre concept pour parachever l'explication du monde dans le temps, à savoir le mouvement intrasubstantiel (elharaket eldjaouharia). Finalement le temps qui est la mesure de la rotation des cieux chez Aristote devient chez Mollâ Sadr le mouvement intrasubstantiel de toute la substance de l'Univers. La création du monde dans le temps (le houtouth zamani) n'est ni commencement dans le temps ni commencement éternellement advenu mais commencement perpétuellement advenant (événement éternel) introduisant l'idée non pas de chronologie comme le pensent les moutakallimoun mais l'idée de durée perpétuelle ontologique. Donc la création du monde est une ontogenèse. Pour conclure, la réalité selon Mir Damad et Mollâ Sadr se divise en trois modalités. Au- dessus de ces trois modalités (le zaman, le dhar et le sarmad), l'Etre Nécessaire (Wadjib el Woudjoud) Est Absous de toute définition, Il Est l'Essence Solitaire (Dhat Ahadya), L'Hypséité Inconnaissable (Houwia Ghaibia). Après l'Etre Nécessaire vient le sarmad, c'est le monde des Intelligences pures. Puis vient le dahr, c'est le monde de l'être avec le temps, en même temps que lui, le permanent, le perpétuel. Enfin, le zaman qui est le temps au sens aristotélicien, ou le monde du muable, du changement, des phénomènes naturels, de la matière. C'est là où le mouvement intrasubstantiel de Mollâ Sadr opère, le monde de la matière qui est en changement permanent et qui permet l'ontogenèse du Cosmos. Le rapport entre le relatif et le relatif, c'est-à-dire les changements qualitatifs de la matière, est le zaman, le monde aristotélicien. Le rapport entre le permanent et le relatif est le dhar, l'éternité. Le rapport entre le dahr et le sarmad est l'immuable, le monde des Intelligences pures. L'influence de ces deux philosophes du 17° S est d'actualité en Perse (Iran) en ce qui concerne ce thème de l'ontogenèse. Mais beaucoup de thèmes sont abordés par la philosophie iranienne islamique de la manière la plus originale et dont le nombre des philosophes est très important de nos jours même s'ils sont méconnus dans le monde, notamment le monde arabe.