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Et pourtant la guerre a continué (I)
Publié dans La Nouvelle République le 17 - 03 - 2012

Ayant survécu à un attentat contre le ministre André Malraux, le 7 février 1962 et à la suite duquel, grièvement blessée, j'ai perdu la vue, je serais non pas une victime mais une «bavure», selon une confidence récente d'un vieil activiste – pas du tout repentant – à un journaliste. Delphine Renard. (Tiré du texte publié par le Monde sur Internet).
Il y a un demi-siècle, à Paris, une manifestation pour la paix en Algérie et contre les attentats de l'OAS se terminait dans le sang. Encore aujourd'hui, la police ne reconnaît pas ses responsabilités. Le 8 février 1962 à Paris, une manifestation à l'appel des Partis de gauche contre la guerre d'Algérie et les attentats de l'OAS (Organisation de l'Armée Secrète) se termine par la charge de la police et la mort de neuf manifestants à la station de métro Charonne, dans l'Est parisien. Ces événements interviennent six mois après ceux du 17 octobre 1961, où la répression d'une autre manifestation d'Algériens avait fait plus de 200 morts, selon les sources officielles rendues publiques en 1997. Rappel historique sur une période de troubles qui suscite toujours aujourd'hui des débats houleux. La guerre d'Algérie touche à sa fin Depuis l'automne 1954, la France est en guerre en Algérie, ce morceau d'Afrique du Nord colonisé depuis 1830 et divisé en trois départements.Devant l'ampleur de la crise, le général de Gaulle a été rappelé au pouvoir en juin 1958. D'abord favorable à la guerre, l'opinion publique française a progressivement changé d'avis, après l'envoi de soldats du contingent en Algérie. En janvier 1961, un référendum sur l'autodétermination révèle que la population française est favorable à l'indépendance et à la fin de la guerre, il recueille 75 % de «oui». L'indépendance de l'Algérie ne fait plus de doute, mais ses modalités et son échéance ne sont pas encore très claires. Au cours de l'année 1961, les tensions restent très vives L'OAS, un mouvement de farouches partisans de l'Algérie française, multiplie les attentats, tant en Algérie qu'en métropole. Le FLN, Front de libération nationale, intensifie aussi les attentats, notamment contre les policiers français. L'Algérie obtiendra l'indépendance quelques mois plus tard, le 18 mars 1962. Mais la guerre au lieu de s'arrêter fut reprise par l'Organisation de l'armée secrète, appliquant la politique de la terre brulée. L'OAS voulant se faire croire omniprésente, le 7 février 1962, à Paris et dans la banlieue, elle opère dix fois, par des charges de plastic qu'elle fait exploser aux portes des domiciles d'hommes politiques, d'intellectuels, de journalistes, tuant jeunes et vieux et même des enfants. Technique courante : l'homme monte un escalier, dépose son paquet d'explosif (plastic) devant une porte ou tout simplement sur le palier de l'étage, et se sauve. Objectif de ce jour-là : deux professeurs de droit, Roger Pinto et Georges Vedel, un écrivain, Vladimir Pozner, un membre du bureau politique du P.C.F., Raymond Guyot, un journaliste, Serge Bromberger, un colonel d'infanterie, un général d'aviation en retraite, la prison de la petite-Roquette et un ministre, André Malraux. Vladimir Pozner est sérieusement blessé à la tête ; Fernande Guyot est également atteinte ainsi que trois ouvriers du bâtiment. Une dame de 81 ans est commotionnée et la petite Delphine Renard grièvement touchée à la face et aux yeux. Sept blessés, parmi eux, cette enfant Delphine Renard, âgée de quatre ans et demi. En attendant de retourner à l'école maternelle, elle jouait dans sa chambre, après le déjeuner, quand une charge de plastic destinée à André Malraux, qui habite le même immeuble, explose devant ses fenêtres. Delphine ne saura naturellement pas ce qui lui est arrivé. Quand son père la ramasse et la prend dans ses bras, le visage en sang, les yeux criblés d'éclats, elle lui dit : «Papa, j'ai des grains de sable dans les yeux». Le visage de la petite Delphine Renard est labouré d'éclats de verre et de pierres, l'œil droit arraché, le gauche atteint. Elle restera sur la table d'opération durant trois heures. Ces grains de sable-là vont bouleverser la France. En plastiquant Delphine Renard par erreur, l'OAS a commis plus qu'un crime. L'émotion est énorme et l'indignation à son paroxysme. A cause de cette petite fille, Paris se soulève contre l'OAS et le vent va tourner. «Tous en masse à la Bastille, à 18h30 !» L'appel est lancé pour le lendemain jeudi 8 février 1962 par les unions des syndicats C.G.T. de la Seine et Seine-et-Oise, l'Union régionale parisienne C.F.T.C., l'U.N.E.F. et la Fédération de l'éducation nationale, de la F.E.N., et du S.N.I., les fédérations du P.C.F., du P.S.U., les jeunesses communistes, le M.R.P., et le Mouvement de la paix : «Il faut en finir avec les agissements des tueurs fascistes. Il faut imposer leur mise hors d'état de nuire. Les complicités et l'impunité dont ils bénéficient de la part du pouvoir, malgré les discours et déclarations officiels, encouragent les actes criminels de l'O.A.S.», dit le communiqué commun adopté par ces organisations. Pour toute réponse, le ministre de l'Intérieur, Roger Frey, rappelle en cours de journée que les manifestations de rues «sont et demeurent interdites». Le pouvoir tente encore de s'en tenir «à la doctrine de la nécessaire lutte sur les deux fronts» -contre les «fanatiques de l'Algérie française et contre les partisans de la négociation et de la paix». Les Parisiens, ne l'entendant pas comme cela, sortent dans la rue pour manifester contre l'OAS. Manifestants et forces de l'ordre s'affrontent. Ce n'est pas la première fois ni la dernière. Pourtant le souvenir de cette journée va rester dans les mémoires comme celui de la tragédie de la petite Delphine puisque à cause de cette petite fille, Paris s'est soulevée contre l'O.A.S. et va faire tourner le vent. Le lendemain à 18 heures, dix mille manifestants convergent vers la Bastille. C'est sur le boulevard Beaumarchais que les choses commencent à se gâter. Il est 18h 20 et les manifestants précédés par des porteurs de banderoles et criant «OAS Assassins» et «Paix en Algérie» apparaissent. Il fait un froid humide qui graisse le pavé et épaissit l'air à tel point que ni les enseignes des cafés, ni les devantures des magasins, ni les phares des voitures ne réussissent à dissiper l'obscurité. La foule des manifestants s'avance. Des deux côtés du boulevard les policiers s'immobilisent laissant traîner le bout de leurs bâtons blancs sur les trottoirs. Et tout à coup les chefs qui mènent le cortège d'en face lèvent les bras. C'est un signal. Aussitôt les projectiles volent. Touché à la jambe, un gardien s'écroule tandis que ses collègues chargent. Un reporter raconte : Alors que je suis sous une averse de fonte, je vois un autre agent porter la main à son casque, la retirer et la regarder d'un air étonné : elle est pleine de sang. Il se retourne alors vers l'un de ses camarades qui le soutient et l'espace d'un instant j'aperçois son visage : il n'a plus de nez. Alors, emporté par la vague, je m'engage dans la rue du Chemin-Vert. Là, je vois un étudiant en scooter essayer de traverser la bagarre, recevoir à la volée un coup de matraque sur le crâne et tomber dans le ruisseau en criant: Je n'ai rien fait. En fait, en un instant, la bataille est devenue si confuse, succession de heurts sporadiques entre petits groupes, qu'il devient impossible de la décrire. Rue Saint-Gilles, le même reporter voit des jeunes manifestants assommer un agent de l'ordre avec son propre casque et un autre agent se faire lyncher sous la porte cochère d'un immeuble où il tentait de se réfugier. Mais, à quelques pas de là, ce sont les agents de l'ordre qui s'acharnent sur une sorte de monceau humain formé par une vingtaine de personnes qui, en fuyant, se sont heurtés à un cycliste qu'elles ont renversé et sur lequel elles se sont agglutinées… L'un des points les plus chauds a été la place Voltaire. Là, un instant, l'affrontement a failli tourner à la tuerie pure et simple. Comme sur le boulevard Beaumarchais, se déroulaient des bagarres confuses. Coiffés de cageots à légumes, les manifestants s'exposaient un instant aux matraques, puis se dérobaient. Or, alors qu'ils avaient déjà tenté d'arrêter un car de police, voici qu'un second véhicule tente, en zigzaguant, de s'ouvrir un passage à travers leurs rangs. Une voiture qui essayait de se garer lui bouche ma lencontreusement la voie. Aussitôt les manifestants l'assaillent et essaient d'extirper le chauffeur de sa cabine. Celui-ci craignant d'être lynché, sort son révolver et tire à plusieurs reprises. Plusieurs manifestants s'écroulent. Ce qui se passe alors est plus que confus. Les agents, semble-t-il, se sont rués au secours de leur collègue en danger d'être lynché et sont restés maîtres de la chaussée maculée de sang. Une chose est certaine : malgré leur fureur, ils n'ont pas perdu le contrôle au point de faire usage de leurs armes. En revanche, ils ne se sont pas fait faute de poursuivre et de traquer les fuyards jusque dans les couloirs du métro et sans trop prendre la peine de discerner entre les émeutiers et les voyageurs innocents. Mais c'est à la station Charonne, celle qui va laisser son nom à cette journée, que se produisent les scènes les plus effrayantes. Par prudence, afin que les manifestants ne puissent déboucher par là, elle avait été fermée, et là aussi, d'abord, tout semblait devoir se terminer dans le calme. Peu après 19 h 30, les organisateurs venaient en effet, de donner le signal de la dispersion. (A suivre)

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