Ces pourparlers servent d'ailleurs plus à sauver la face occidentale et, pour les Russes, à saucissonner la rébellion qu'à régler réellement le conflit syrien : des quatre principales forces sur le terrain - régime d'Assad, YPG kurdes, Al Qaïda et Etat Islamique - trois ne sont pas concernées ! Absurde... Ainsi, le PYD (qui rappelons-le est le parti kurde chapeautant les YPG combattantes) a décidé de proclamer la région fédérale «Rojava-Nord de la Syrie» en précisant toutefois bien, sans doute à la demande de Moscou, que la nouvelle entité reste sous l'autorité de Damas. Ce faisant, il provoque la fureur de toutes les composantes du conflit. Erdogan est à nouveau sur des charbons ardents, qui voit son cauchemar se réaliser : la création d'un Kurdistan autonome à sa frontière, future base-arrière de la rébellion du PKK. Et le sultan ne peut rien y faire : les S400 russes restent en Syrie. Les Saoudiens sont tout aussi excédés : Rojava sera un obstacle définitif à toute possibilité future d'un couloir sunnite entre l'Irak chiite et la Syrie alaouite en direction de la Turquie. Les Américains, pris par surprise, refusent également de reconnaître la constitution d'une région unifiée et autonome kurde, arguant sans rire (et avec une invraisemblable hypocrisie) du danger de «démantèlement de la Syrie». On ne les avait pas connus aussi soucieux de l'intégrité territoriale syrienne quand ils supportaient l'établissement d'une principauté salafiste dans la partie orientale du pays. Toujours est-il que cette «trahison» américaine risque de rester longtemps dans les mémoires kurdes... Ironie du sort, Assad et son opposition sont, pour une fois, eux aussi sur la même longueur d'onde et refusent absolument de reconnaître la nouvelle région fédérale. Les fidèles lecteurs ne seront pas surpris des possibles frictions entre Moscou et Damas à propos des Kurdes. Il ne faudrait toutefois pas que les choses dérapent trop sérieusement comme à Qamishli où YPG et armée syrienne viennent d'échanger quelques coups ; gageons que Poutine y mettra rapidement le hola. Car après avoir étonné le monde avec un retrait partiel au timing parfait - tout en précisant que les Sukhois peuvent y revenir en quelques heures si nécessaire (à bon entendeur...) , le maître du Kremlin prépare déjà le coup suivant. Les Russes font cavalier seul ici et jouent de plus en plus la carte kurde : en parallèle à l'insistance renouvelée pour que le PYD participe aux pourparlers de Genève, Lavrov hausse le ton contre la sale guerre d'Ankara contre le PKK. Les médias russes se jettent dans la ronde pour dénoncer les atrocités turques. Depuis le 24 novembre, l'ours s'approche chaque fois un peu plus près de la jugulaire turque et ne va plus la quitter des yeux, prêt à la mordre au moindre prétexte. Erdogan a servi sur un plateau d'argent les Kurdes syriens et le PKK à Poutine, qui peut armer et utiliser ce dernier quand bon lui semble (pour les premiers, c'est déjà fait). Pour le sultan, c'est un casse-tête terrible. La grande majorité de l'approvisionnement gazier actuel de son pays vient de l'ennemi russe avec lequel les contrats arrivent à expiration en 2020 ; la totalité des routes alternatives possibles (Caspienne, Kurdistan irakien, Iran) est aux mains du PKK. Et ce gros bêta d'Erdogan qui a offert le PKK aux Russes ! Encore un coup de la déesse Momos... (Suite et fin)