En plus d'une heure de séance, rien n'a été abordé qui ressemble de près ou de loin à une véritable stratégie pour affronter et détruire Daech. Des généraux qui ont passé leur vie dans l'armée, descendants de lignées de militaires, dissertaient tranquillement de l'insuffisance des frappes aériennes en Syrie pour réduire à elles seules les capacités militaires de Daech, sans mentionner une seule fois le fait que l'armée US dispose de forces considérables stationnées en Turquie et en Jordanie, suffisamment nombreuses pour verrouiller hermétiquement les lignes de ravitaillement de Daech dans ces pays même (donc sans avoir à violer le territoire syrien), et empêcher de facto le flot continu de combattants étrangers (pourtant constamment évoqués pendant toute la séance) de venir renforcer les positions de Daech en Syrie. Loin de dénoncer les fidèles alliés des USA qui alimentent ouvertement la formidable capacité militaire de Daech et son expansion au-delà des frontières de la Syrie, le Comité a au contraire convenu de la nécessité de travailler encore plus étroitement avec ces derniers dans ce qui manifestement est tout sauf une véritable guerre contre Daech. Il semble extrêmement improbable que ces «grands généraux» soient réellement totalement incapables d'identifier la source de la capacité militaire de leur ennemi et de l'oblitérer efficacement. En réalité ils savent pertinemment comment vaincre Daech, mais quiconque prendra la peine de visionner cette séance du Sénat US – dûment archivée sur le site même du gouvernement US afin d'être consultable par tous – comprendra très clairement que le but réel n'est nullement de combattre ou de vaincre Daech, mais de réorganiser le Proche-Orient d'une manière propre à y maintenir l'influence des USA, et à protéger les «intérêts» américains dans toute la région. Combattre Daesh n'est au mieux qu'un prétexte pour pérenniser l'engagement US en Syrie, en Irak, et désormais aussi en Afghanistan et en Libye. Sénateurs et généraux présents à cette séance du SASC s'accordaient unanimement à considérer que le Nigéria, la Somalie, voire d'autres nations bien au-delà verraient sans doute bientôt Daech s'implanter aussi, durablement, à l'intérieur de leurs propres frontières, offrant ainsi aux USA autant d'excellentes opportunités de l'y traquer, au travers de ce que le Pentagone appelle des «opérations transrégionales». A l'heure où des nations comme la Russie ou la Chine sont en train de développer leurs relations économiques avec les pays du Proche-Orient et du Maghreb, leur offrant par ce biais davantage de visibilité et d'influence sur le plan international, les USA semblent manifestement vouloir justifier le maintien de leur présence dans le monde arabe par l'enracinement d'un chaos perpétuel. Il semble cependant de plus en plus évident que ce chaos, qu'ils prétendent «combattre», est un chaos qu'ils créent eux-mêmes, intentionnellement. Difficile d'imaginer que ce type de politique étrangère soit réellement tenable à long terme, ce que, d'une certaine manière, le Comité lui-même reconnaissait implicitement. Interrogés par le Comité sur la question de savoir si la Russie leur semblait être sur le point d'atteindre ses objectifs en Syrie, les deux généraux répondaient oui, sans la moindre hésitation. (Suite fin)