À son ami René, mais en fait aux générations montantes, Kamel Bouchama rappelle ce qu'entraîna l'acte odieux adopté par le parlement français en janvier 1830. Hélas, cinq mois après, les hordes colonialistes, commandées par de Bourmont, débarquaient sur la presqu'île de Sidi Fredj, amenant ainsi l'Algérie à engager une lutte incessante pour son indépendance. L'avenir, dit l'auteur de « Lettre à René » en filigrane, appartient aux peuples qui le construisent ensemble, une fois soustraites les lourdeurs du passé. Là, où notre vieille garde militante n'a pas cru bon devoir consigner son témoignage, ce livre vient au bon moment. Il devrait de ce fait, être mis entre les mains de tous les jeunes. La première partie, prélude de ce travail de sape, parlera de la dépréciation de notre Islam par nos ennemis qui n'ont rien trouvé de mieux que de nous engager dans des luttes de clans, fondées, la plupart du temps, sur le postulat de «diviser pour régner». Des spécialistes, comme ils savaient en créer, ont tout fait pour attirer nos populations vers des «pratiques» qu'ils leur ont imposées et qui allaient les perturber, pour ne pas dire les bafouer, et les éloigner des véritables pratiques religieuses qui étaient les leurs. Heureusement, qu'en définitive, la foi de ces populations était plus forte, plus solide car, si certains ont abondé dans le sens de ce «nouvel enseignement» qui leur a été prescrit – je l'ai dit –, la majorité, heureusement, n'a pas cru bon de suivre ces tristement célèbres «dévots» dans leur travail de déstabilisation. Cependant, ils ont été longtemps victimes de la «psychose exaltée» à dessein qui leur a été «inculquée» subtilement ou de force par des agents bien inspirés et astucieusement entraînés dans des officines où ils apprenaient à fomenter les diversions, les ruptures, les cabales et les désaccords. Dans la deuxième partie, je dis aux jeunes – je m'adresse toujours à eux, car c'est eux qui doivent connaître parfaitement leur Histoire – ce que nous étions avant l'oc-cupation de 1830, au niveau de notre édifice culturel et scientifique. Je tente d'expliquer clairement, à travers cette correspondance, ce qu'est notre culture – il est très important de rappeler ce riche patrimoine – et ce qu'a fait le colonialisme pour atténuer cette tendance vers le progrès qui animait nos savants. Je raconte cette période florissante pour expliquer que notre pays, avant ce débarquement à Sidi Fredj, n'était pas ce qu'ont prétendu les colonisateurs, une terre revêche au visage rébarbatif, de même que nos populations n'étaient pas analphabètes et incultes qu'il fallait domestiquer et, selon leurs propres expressions, civiliser. Dans la troisième partie, je mets en exergue cette barbarie – et le terme n'est pas exagéré –, qu'ont développée et démontrée les prétendus «pacificateurs» de l'ordre colonial français qui, par leurs fidèles suppôts d'aujourd'hui, persistent dans leurs convictions, pour occulter, à l'heure de la vérité, leurs crimes contre notre peuple…, en somme, contre l'Humanité. Les trois parties donc, sont étroitement liées et racontent, l'une après l'autre, comment sous le prétexte d'un soi-disant coup d'éventail – les historiens, ceux qui ont fait de sérieuses recherches, ne parlent que d'une simple réprimande du dey à l'encontre du consul Deval –, la France coloniale a commis un acte odieux, inique et immoral. En fait, comment elle a confisqué une nationalité et un territoire. Ainsi, cet écrit adressé à un ami, mais en réalité à tous ceux qui veulent nous écouter, veut tout simplement dire que les pénibles épreuves et les cruelles tortures que nous avons connues et subies, pendant plus d'un siècle, ne sont pas uniquement physiques, elles sont aussi morales, économiques, culturelles et politiques. De là, et à travers ce dialogue direct, j'essaye de faire entrer dans l'esprit de ceux de l'autre rive qu'il est temps d'arrêter ces excitations et ces exhortations à l'éclatement qui ressurgissent chaque fois pour nous dauber et nous mettre mal à l'aise. J'insinue également plusieurs résolutions sous forme d'ambitions, légitimes et réalisables, pour l'intérêt des deux peuples. Mais avant tout, afin de jeter toute la lumière sur des épisodes douloureux de la colonisation, dans un audacieux examen de conscience, je pense qu'il n'est pas trop prétentieux de demander à la France, la grande puissance d'aujourd'hui, d'avoir ce regain de courage et reconnaître, dans une attitude auguste et noble, les crimes coloniaux de ses maréchaux, les Saint Arnaud, Randon, Vallée, de ses généraux, les Rovigo, de Bourmont, Bugeaud, Massu, Bigeard, Salan, Challe, Zeller et Argoud, du colonel Godard et du capitaine Léger, ainsi que les crimes de tant d'autres tortionnaires, tel que l'adepte du nazisme, le commissaire Maurice Papon. En effet, ce n'est pas de l'extravagance et encore moins de l'ambition démesurée que de se demander si la France des «droits de l'Homme» peut-elle rester insensible face à l'action de tels bourreaux. Le chemin de sa grandeur passe assurément par une reconnaissance claire de tous ces crimes commis pendant la période coloniale et, par voie de conséquence, par une condamnation systématique de tels actes ! C'est cela notre position, sans ambages, sans faux-fuyants, car elle procède d'une position qui se veut claire et d'une opinion résolue. Alors, interviendront les excuses officielles qui vont l'ennoblir et lui redonner son lustre et sa considération. D'autres pays l'ont fait, il n'y a pas de raison à ce que la France, ce grand pays aux principes humanitaires et humanistes – sans aucune obligeance de notre part –, ne les présente pas aux Algériens, en toute humilité, reconnaissant par là un lourd passé qui accable ses bourreaux et qui condamne une politique colonialo-impérialiste aux relents de servitude et de tyrannie. C'est pour cela que cette «dramatique trilogie», relatée dans une correspondance, comme celle-ci, vient raconter bien après ce cinquantième anniversaire de la Révolution de Novembre, le mal incommensurable qu'a perpétré le colonialisme dans notre pays. En tous cas, j'ai essayé, en ramassant mes écrits, déjà publiés dans des livres ou dans des articles de presse, de contribuer, très modestement, naturellement et à ma façon, à ce devoir de vérité. Je n'ai pas l'intention de remuer le couteau dans la plaie, comme je n'ai pas la prétention de soulever une autre polémique, gratuitement, je veux simplement éclairer l'opinion publique, surtout les jeunes qui vivent un climat où se déploie un modèle culturel d'«inspiration possédante», chez nous et ailleurs, sur la gravité des actes odieux et des visées expansionnistes de feu le colonialisme qui n'avait qu'un seul but : falsifier l'Histoire, défigurer notre passé et nous dominer aisément. Pour cela, il fallait s'attaquer à l'Homme, à sa culture, à sa religion pour le réduire à néant et ensuite le commander et annexer ses terres, toutes ses terres. C'est ce qui s'est passé au cours des 132 années dans notre pays où notre peuple a souffert le martyre et a su combattre avec résolution pour réhabiliter l'œuvre et la mémoire de tous ceux qui ont contribué à la sauvegarde de nos valeurs et de notre liberté. Ainsi, la France des droits de l'Homme – et afin d'abonder dans le sens de cette demande d'excuses qui n'est pas déraisonnable ni même outrancière – ne peut s'enorgueillir «d'avoir été à la hauteur» tout au long de sa présence en notre pays, comme elle ne peut aujourd'hui, à l'heure des bilans, ne pas reconnaître ses fautes et la légitimité du combat de notre peuple qui a su utiliser sa fougue et son courage dans cette immensité du territoire comme une influence souvent décisive. En publiant ces pages, de cette manière, je veux tout simplement expliquer qu'aujourd'hui, à l'heure des bilans qui nous permettront d'ouvrir d'autres pages concrètes sur le futur des relations bilatérales avec nos amis de l'autre rive de la Méditerranée, nous devons tous nous mobiliser pour ne pas fléchir devant les assauts répétés de quelques nostalgiques d'un passé déshonorant et infâme. Nous devons également considérer, puisque nous faisons «le ménage» dans notre propre maison, que la réconciliation nationale, entrée en vigueur après le référendum, est un plus dans notre démarche vers le renforcement de l'unité nationale et du progrès. En somme, elle nous permettra de sortir de la crise et de nous attacher particulièrement au développement national, par la tolérance et le respect de l'égalité et de la justice. La grandeur de notre pays, la richesse de son patrimoine et la majesté de son avenir eu égard aux riches potentialités qu'il recèle, seront autant d'atouts qui nous permettront d'avancer rapidement dans les programmes que nous nous sommes fixés pour l'intérêt général de notre peuple qui a tant souffert.