Depuis 2014, l'artiste écossaise Katie Paterson a lancé un projet peu commun, et c'est un euphémisme : la Future Library. Le concept : façonner une collection de cent titres rédigés par autant d'auteurs, et ce au rythme d'un par an, pour une publication générale en… 2114.Huit auteurs ont déjà rendu une œuvre pour les générations futures, en commençant par Margaret Atwood qui avait inauguré l'entreprise. Pour entreposer les manuscrits, une salle dédiée a été construite. Le dimanche 12 juin à Oslo, Future Library, le projet imaginé par l'artiste écossaise a été, pour la première fois, ouvert au public. Après huit ans, les huit manuscrits rédigés par certains des auteurs vivants les plus renommés au niveau mondial ont pu entrer dans la « La salle silencieuse », installée dans la Bibliothèque Deichman inaugurée en 2020, où ils resteront pendant les 92 prochaines années. Cette enceinte particulière a été construite à partir de 100 couches de bois sculpté ondulé, où 100 tiroirs en verre ont été aménagés pour accueillir ces livres d'un futur espéré. La journée de la cérémonie, dit « Le jour de passation », a débuté avec plusieurs centaines de curieux, nous apprend le Guardian, accompagnant les auteurs, des artistes et les responsables de la ville, lors d'une randonnée à travers la forêt de la ville d'Oslo jusqu'à une plaine élevée de la ville. En 2014, cette zone a été amputée d'un grand nombre d'arbres, afin de construire la salle silencieuse, avant d'y planter plus de 1000 jeunes pousses. Dans 100 ans, ces arbres seront abattus pour fabriquer le papier sur lequel seront imprimées les 100 oeuvres en dormition. Un projet d'espérance… Si l'auteure de la Servante écarlate (Trad. Sylviane Rué) a été la première participante au projet, elle n'a pas pu être présente à la journée dédiée à ce foyer pour les précieux textes. En revanche, les écrivains David Mitchell, Sjón, Tsitsi Dangarembga et Karl Ove Knausgård se sont joints à la cérémonie, l'occasion d'installer eux-mêmes leur manuscrit dans l'un des tiroirs, « en attendant les cosaques et le Saint Esprit… » (Ou simplement le siècle suivant). Outre les écrivains précédemment cités, les autres participants à ce projet de l'espoir en les livres, les lecteurs futurs et les forêts de 2114, sont Elif Shafak, Han Kang et Ocean Vuong. L'artiste norvégienne a demandé aux huit auteurs, en attendant les prochains, d'écrire un texte de n'importe quelle longueur ou genre, mais de ne rien révéler à leur sujet, mise à part le titre. Pour David Mitchell, qui fait sensation en ce moment en France après la sortie de son roman sur les Sweet Sixties, Utopia Avenue (Trad. Nicolas Richard), paru aux éditions de l'Olivier, loue le projet de l'artiste danoise : « J'ai trouvé que c'était visionnaire, un acte d'optimisme obstiné et très beau. Si quelqu'un avait commencé cela en 1914 au lieu de 2014, pensez aux personnes qui auraient pu y contribuer – James Joyce, James Baldwin, Eudora Welty ! ... » Et d'ajouter : « En nous rassemblant ainsi, nous créons quelque chose de nouveau, une véritable plantation. » A l'occasion de l'inauguration, il en a également profité pour révéler le titre de son ouvrage, Blind Book (Le livre aveugle). … autant que visionnaire Pensé dès 2014 dans une approche écologique, huit années plus tard, ce projet aussi symbolique qu'original, résonne plus que jamais, considérant l'aggravation de la crise climatique. Un constat que dresse les rapports annuels du GIEC. Ainsi, maintenant plus que jamais, le concept optimiste et rempli d'espoir de la Future Library, s'avère pertinent. L'auteur islandais, Sjón, s'appuie sur cette nature norvégienne pour filer la métaphore : la forêt d'Oslo refléterait pour lui le fonctionnement de la littérature. Pour ce dernier, elle est l'œuvre de générations, où chaque écrivain travaille littéralement sur les traces des auteurs qui les ont précédés – « et c'est la magie du travail de Katie : elle rend visibles et compréhensibles d'énormes concepts comme le temps et l'univers. » Sjón conclut ensuite, avec philosophie : « Vous devez être un auteur de votre temps et si votre travail est lisible dans 100 ans, tant mieux pour vous ; sinon, vous avez fait de votre mieux, et peut-être feriez-vous mieux de ne pas savoir que vous serez lu dans 100 ans ! »