Cette présente contribution est une synthèse de mon intervention, le 27 avril 2024, à l'invitation de la radio publique Chaine III (disponible sur Youtube) sur les impacts de la récente rencontre Algérie-Tunisie-Libye, afin de dynamiser le Grand Maghreb en léthargie depuis de longues décennies. Préambule Afin d'éviter des interprétations byzantines, le ministre des affaires étrangères algérien a été clair : la récente rencontre Algérie-Tunisie -Libye ne saurait se substituer à l'UMA et n'est dirigé contre personne. Selon nos informations , pour la prochaine réunion qui se tiendra en Libye la porte est ouverte au Maroc et à la Mauritanie, voire dans le cadre de l'Afrique du Nord incluant l'Egypte. Précisons qu'il n'y a pas une économie homogène de tous les pays du Maghreb mais des structures différentes. Nous avons des pays importateurs d'énergie dont la hausse des prix se répercutent sur leurs comptes extérieurs instables comme le Maroc, la Tunisie et la Mauritanie, pour ce dernier cela devrait changer entre 2024/2025, avec d'importantes recettes avec les découvertes de gaz avec le Sénégal(mise en exploitation en principe fin 2024) et des pays exportateurs d'hydrocarbures qui jouissent d'une rente, comme l'Algérie et la Libye qui leur permettent d'avoir des comptes financiers favorables. Face à l'inflation et au chômage qui frappe tous les pays du Maghreb avec des incidences différentes, lors de la rencontre tripartite Algérie -Tunisie, Libye a été décidé, outre la coordination pour faire face aux tensions géostratégiques dans la région, de promouvoir bon nombre de projets concrets notamment l'utilisation conjointe de la nappe de l'Albien qui est la plus grande nappe d'eau souterraine au monde, contenant plus de 50 000 milliards de mètres cubes d'eau, l'équivalent de 50 000 fois le barrage de Beni-Haroun Algérie- étant le résultat de l'accumulation qui s'est effectuée au cours des périodes humides qui se sont succédé depuis 1 million d'années, cette nappe étant à cheval sur trois pays, l'Algérie 70%, la Libye 20% et la Tunisie 10%. Certains endroits de l'eau douce de cette nappe en Algérie comme à El Golea , produit de dessalement naturelle et pour les coûts une grande partie eau saumâtre nécessitant des unités de dessalement, les canalisations pour chemiser cette eau vers les utilisateurs, analyser la profondeur de l'extraction et selon les experts devant en plus avoir une productions mesurée pour ne pas briser l'écosystème (voir les deux ouvrages collectif sous la direction du professeur Abderrahmane Mebtoul et du docteur Camille Sari de la Sorbonne, ayant regroupé 36 experts algériens, marocains, tunisiens, libyens, mauritaniens et européens -2015/2016 Editions Harmattan Paris 1050 pages – les enjeux de la construction du grand Maghreb). 1.-Situation du Maghreb au sein de l'économie mondiale En dehors de l'achat du matériel militaire, les principaux courant d'échange commerciaux des cinq pays du Maghreb se font en direction de l'Europe et plus généralement vers l'Occident mais avec une percée importante de la Chine, le taux d'intégration intra-maghrébin en 2023, ne dépassant pas 2/3%, le taux d'intégration intra- africain lui-même étant de 15/16%. Quel est le poids économique du Grand Maghreb au sein de l'économie mondiale ? Le PIB global en 2023 de l'ensemble des pays du Maghreb ne dépasse pas 520 milliards de dollars pour une population d'environ 110 millions d'habitants, un PIB presque équivalent à celui de la Belgique 554 milliards de dollars pour une population 11,70 millions d'habitants sur un PIB mondial 101.300 milliards de dollars soit moins de 0,05% ce qui ne reflète pas ses importantes potentialités. Quant au poids de chaque économie nous avons : Algérie Pour une population au 01 janvier 2024 de 47,78 millions , pour la BM l'Algérie a un PIB de 224 milliards de dollars en 2023 soit 40,72% du Maghreb avec la première place Le taux de croissance pour 2023 a été de 4,2% avec une prévision de 3,8%, en 224 et 3,1% en 2025. -. Maroc pour une population de 37,77 millions d'habitants la croissance du produit intérieur brut s'est établi à 198 milliards de dollars en 2023, soit 38% du PIB du Maghreb Taux de croissance selon le FMI a été de 2,8% en 2023 avec des prévisions de 3,1% en 2024-Tunisie Avec une population de 12,54 millions d'habitants au 1 janvier 2024, avec un PIB en 2023 en moyenne de 46,30 milliards de dollars, soit 8,90% du PIB du Maghreb-Libye, avec une population de 6,95 millions d'habitants , a un PIB d'environ 47 milliards de dollars avec une croissance de 12% en 2021, 4,6% en 2022, de 17,9% en 2023, étant prévu 8,0% en 2024- Mauritanie, position stratégique en direction de l'Afrique de l'Ouest, la population est estimée à 4, 5 millions habitants en 2023 et le produit intérieur brut PIB 9,78 milliards de dollars. Selon les estimations du FMI , la croissance du PIB réel s'est ralentie, passant de 6,4 % en 2022 à 3,4 % en 2023, mais devrait être de 6 % en moyenne entre 2024/2027 , grâce à la mise en service des découvertes des nouveaux champs gaziers. En prenant trois autres indicateurs pour la moyenne 2022, nous avons premièrement , le PIB par tête d'habitant (le PIB divisé par le nombre d'habitants suivant ( source Banque mondiale) : Libye 6716 -Algérie 5187 dollars -Maroc 3442 -Tunisie 3747- Mauritanie 2035 dollars. Deuxièmement nous avons PIB par habitant à parité du pouvoir d'achat PPA qui exprime le rapport entre la quantité d'unités monétaires nécessaires pour se procurer un panier de biens et services donne pour l'Algérie 15518 dollars- Tunisie 11987-Libye 9792-Maroc 8612 – Mauritanie 4472 dollars. Troisièmement les enquêtes du PNUD sur l''indice du développement humain qui est un indice composite se fondant sur trois critères, le PIB par habitant, l'espérance de vie à la naissance , le niveau d'éducation de 17 ans et plus et ayant introduit récemment l'impact du réchauffement climatique donc la dégradation de l'environnement, rapport publié en 2023 relatant le diagnostic de 2022 ,nous avons sur 182 pays le classement suivant : la Libye 92e position, l'Algérie 93e, le Maroc 120e, la Tunisie 101e position, la Mauritanie 164e position. 2.-Indicateurs financiers : réserves de change, endettement, cotation des monnaies Les réserves de change fin janvier 2023 ont été de 73 milliards de dollars et environ, 83 milliards de dollars en incluant les 173 tonnes d'or et un endettement public extérieur faible avec moins de 2% du PIB, un endettement public global qui a évolué de 45,6% du PIB en 2019 à 51,4% en 2020, à 56,1% pour 2021, à 55,6% 2022, 49,5% en 2023 et selon le ministre des finances étant prévu en 2024 à 47% du PIB. Les réserves de change sont évaluées à 73 milliards de dollars fin 2023 -Maroc : Selon Bpifrance la dette publique par rapport au PIB a été de 72,2% en 2020, 71,5% en 2022, 69,7% en 2023 avec une prévision de 68,1% en 2024 et le ratio dette extérieure sur PIB de 54% en 2021, 51% en 20232/2023 et une prévision de 44% en 2024. Global Research, les réserves ont atteint 363 milliards de dirhams en mars 2023 soit 3 5,5 milliards de dollars dont 22 tonnes d'or.- Tunisie : La dette extérieure par rapport au PIB a évolué de 916% en 2021, 90,8% en 2022, 86,4% en 2023 avec une prévision de 86,3% en 2024 avec des réserves de change de 4,2 milliards de dollars en 2021, 3,2 en 2022, 3,5 en 2023 et une prévision de 3,2 milliards de dollars en 2024 e l'endettement public représente en 2023 80,23% du PIB (139 milliards de dinars tunisiens) avec une prévision 79,81% 127,1 MMDT) en 2024. La Libye miné par les rivalités des puissances étrangères , divisé en deux , avec une population de 6,95 millions d'habitants possédant la première réservoir de pétrole en Afrique environ 43 milliards de barils étant devenu depuis début avril 2024, le premier producteur en Afrique avec 1,24 millions de barils/j détrônant le Nigeria et du gaz conventionnel peu exploité d'environ 1500 milliards de mètres cubes gazeux, la Libye pays riche , grâce à la reprise du secteur des hydrocarbures et aux cours élevés du pétrole. La dette publique était estimée à 33 milliards d'USD fin 2022 soit 83 % du PIB et d'après la BCL, le gouvernement était endetté à hauteur de 90,5% auprès de la Banque centrale, mais selon le FMI, une dette non au sens habituel du terme car libellée en monnaie locale, sans taux d'intérêt ni calendrier de remboursement. Selon le FMI, les réserves libyennes s'élèveraient en 2023 à 85 Md USD soit 200% du PIB et environ quatre ans d'importations. La Libye dispose également d'un fonds souverain (la Libyen Investment Authority, LIA) avec des actifs estimés à 70 Md USD qui demeurent inaccessibles en raison des sanctions en vigueur depuis 2011. Ainsi, selon la Banque mondiale, l'excédent courant qui a atteint 21% du PIB en 2022, a été ramené à 7,8% du PIB en 2023- Mauritanie : Sur le plan financier, à fin décembre 2022, l'encours de la dette extérieure de la Mauritanie s'élève à 152 024 millions de MRU, soit 87,6 % du total de la dette se subdivisant en 56 % de dette envers les créanciers multilatéraux et 44 % de créanciers bilatéraux. Le ratio dette/PIB a légèrement augmenté pour atteindre 48,1 % du PIB en 2023 (+0,8 point de pourcentage du PIB), en raison de la dépréciation du taux de change à la fin de l'année 2023 et les réserves de change environ 1,8 milliard de dollars , de la Banque centrale mauritanienne sont passées de 4,5 mois d'importations de biens en 2022, à 6 mois en 2023 Quant au taux de change des monnaies, outre une vision stratégique de complémentarité de la sphère réelle, il y a lieu de résoudre le problème lancinant et de la distorsion des taux de change. Ainsi, le 26 avril 2024 la cotation des monnaies des cinq pays du Maghreb est la suivante et tout processus d'intégration suppose une uniformisation des taux de change à travers les politiques des banques centrales à l'instar de la zone européenne qui a instauré l'Euro, nous avons : un dollar américain égal 134,28 dinars algérien – 10,10 dirham marocain égal 1 dollar américain – 3,15 dinars tunisien égal 1 dollar américain – 39,70 Ouguiya mauritanien égal 1 dollar américain et – 4,86 dinars libyen égal un dollar américain. En conclusion, espérons dans le cadre du respect du droit international, l'édification d'un grand espace économique au niveau du grand Maghreb et plus globalement au niveau de l'Afrique du Nord est tributaire de la stabilité tant au niveau du Sahel caractérisé actuellement par les trafics de tous gendre alimentant le terrorisme, de la résolution du conflit au Soudan, en Libye, au Moyen Orient par la création de deux Etats et la fin du conflit au Sahara occidental par l'application de la résolution des Nations Unies. Dans la pratique des relations internationales n'existant pas de sentiments mais que des intérêts, une Nation n'étant respectée que si elle a une économie forte (exemple la Chine), que la raison l'emporte sur les passions et ce afin de faire face aux nouvelles mutations tant géostratégiques qu'économiques, le grand Maghreb des peuples peut devenir un acteur de stabilité et de prospérité de la région méditerranéenne et africaine, où son avenir étant de servir de pont en direction de l'Afrique, continent de tous les enjeux. Et se pose cette question stratégique : face aux grandes puissances qui ont les moyens de leur politique, qui convoitent l'Afrique, expliquant d'ailleurs la déstabilisation de certains Etats, USA, Europe, Chine, Russie et leurs sous-traitants, sans compter bon nombre de pays d'Asie comme le Japon et l'Amérique latine, le Brésil et bon nombre de pays du Golfe et de pays émergents comme la Turquie. Quelle place pour le Maghreb arabe ? Abderrahmane Mebtoul Professeur des universités