Quel mal frappe l'archipel, depuis une dizaine d'années ? En mars 2024, la Japan Publishing Industry Foundation for Culture révélait que près de 30 % des villes et villages du pays ne disposaient plus d'un point de vente des livres. Pour endiguer la vague de fermetures, le gouvernement a nommé une équipe spéciale, chargée de présenter un plan de soutien. En début d'année, plusieurs organisations du livre avaient sonné l'alarme, constatant un important déclin du nombre de librairies dans l'archipel. L'Organisation japonaise pour le développement des infrastructures d'édition et d'information décomptait en effet 15.602 commerces du livre en 2013, pour seulement 10.918, une décennie plus tard. Equipe sur mesure Dès le mois de mars, le ministère de l'Economie, du Commerce et de l'Industrie se dotait d'une équipe spécialement dédiée à la cause, dont les missions consistent à apporter un soutien aux librairies japonaises. Sa mission principale réside dans la conception de stratégies commerciales et promotionnelles, comme des tournées de lectures à voix haute dans les boutiques ou la création d'espaces de restauration dans certaines enseignes. Rattachée au département des Médias et des Industries culturelles, cette équipe œuvre aussi de manière transversale avec d'autres pôles, notamment celui spécialisé dans les petites et moyennes entreprises. Plusieurs pistes sont étudiées, et les exemples d'autres pays attentivement observés, dont la situation des librairies en Corée du Sud. Chez le voisin continental, des boutiques indépendantes ont pu fleurir dans certains quartiers en valorisant un concept bien particulier, comme la spécialisation dans un genre d'ouvrages bien précis (guides de voyage, polar, fantastique…) ou encore des ouvrages recommandés par des célébrités ou des clients. Venir en personne L'une des principales problématiques identifiées par la profession serait la présence des clients dans les librairies elles-mêmes. Des changements dans les pratiques de consommation et de lecture auraient éloigné la perspective de la flânerie, propice à l'achat impulsif. « Quand les magazines se vendaient bien, les clients entraient souvent dans la librairie de quartier », souligne ainsi Kenji Oiri, propriétaire de l'enseigne Oraido Shoten, dans l'arrondissement de Bunkyō, auprès de Japan News. Ken Saitō, l'actuel ministre de l'Economie, a déploré, le jeudi 25 juillet à l'occasion d'un déplacement, la possible disparition d'un pan de la culture japonaise. « Beaucoup de jeunes ne savent pas à quel point les librairies sont merveilleuses, et ceux qui, parmi eux, achètent uniquement en ligne représenteront bientôt une grande partie de la population. » Il a encore affirmé, invité à un événement sur la culture écrite, vouloir préserver les librairies « avant qu'elles ne deviennent une espèce en voie de disparition ». Pour enrayer ce report des achats vers les sites internet, l'équipe du ministère entend populariser l'utilisation des outils numériques et la présence en ligne auprès des libraires. La Japan Publishing Industry Foundation for Culture, de son côté, expérimente un moteur de recherche qui agrège les stocks de plusieurs librairies à proximité du consommateur. L'objectif : éviter un achat en ligne lorsque le client n'a pas trouvé le titre cherché dans un commerce, mais plutôt le diriger vers une autre enseigne. Des vocations à créer Un autre défi de la profession, et de taille, sera de susciter des vocations : plusieurs libraires ont mis la clé sous la porte en raison de leur âge, sans pouvoir transmettre à un successeur. Les charges annexes, notamment le loyer et les coûts liés au personnel, ont aussi connu une hausse conséquente, tandis que les ventes, elles, avaient plutôt tendance à stagner. « Les librairies sont confrontées à une augmentation des frais de personnel et d'autres dépenses, si bien que l'équilibre commercial lui-même ne peut plus être assuré. J'attends du gouvernement des mesures de soutien supplémentaires », martèle le propriétaire d'une librairie tokyoïte, relayé par Japan News. Chacun des 23 arrondissements de la capitale dispose au moins d'une librairie, mais la situation est bien plus critique dans le reste du Japon. La moitié des villes et villages des préfectures d'Okinawa, Nagano et Nara n'ont plus une seule librairie à leur actif, rappelle ainsi Kyodo News. Ici, si les loyers sont moins élevés, les ventes sont à la peine, tout comme les candidats à la reprise des commerces. Selon les chiffres de l'industrie, les ventes de livres, imprimés et numériques confondus, auraient atteint 4,8 milliards € pour la première moitié de 2024, en baisse de 1,5 %. Pour l'imprimé seul, ce pourcentage grimpe à 5 % de recul, ce qui n'augure rien de bon pour la librairie…