L'horreur que nous inspirent, à juste titre, les images qui nous proviennent de Ghaza, et les témoignages émanant d'organisations non gouvernementales, nous en disent long sur les risques humanitaires encourus par la population de Ghaza. Mais, cette tragédie humanitaire risque d'être utilisée par les médias européens pour travestir la réalité et occulter les véritables enjeux politiques de la guerre menée par l'armée israélienne contre Ghaza. Même quand ces médias font semblant de nous émouvoir, ils insistent pour déplorer le nombre élevé de victimes «civiles» et, notamment, des enfants. Sous-entendu, les autres victimes, les «terroristes» du Hamas, n'ont que ce qu'ils méritent. Plus grave, cette propagande tente de légitimer le discours officiel des dirigeants israéliens qui déplorent, publiquement, la perte des vies humaines mais cherchent à en imputer la responsabilité au Hamas qui aurait, selon eux, pris la population palestinienne en otage. A l'appel des dirigeants européens, le gouvernement israélien a accepté de cesser ses attaques, durant trois heures par jour, pour permettre l'ouverture d'un corridor humanitaire à Ghaza. L'agresseur, qui a fait en douze jours plus de 700 tués, dont plus de 250 enfants, tente de donner l'image d'un Etat soucieux de la crise humanitaire ! Mais, comme pour démentir un acteur qui bénéficie, pourtant, de la complaisance démesurée des médias européens, l'actualité est venue montrer qu'il s'agit d'un Etat voyou, qui viole le droit humanitaire international. En effet, le même jour, l'aviation israélienne a bombardé deux écoles appartenant aux Nations unies, et le lendemain un convoi d'aide humanitaire onusien, poussant l'UNRWA à suspendre son activité à Ghaza. Paradoxalement, à la veille d'un cessez-le-feu auquel il se sait obligé, dans les jours qui viennent, à cause non seulement des pressions internationales, mais aussi de l'échec politico-militaire d'une opération qui a commencé à diviser son propre gouvernement, Israël redouble de barbarie à l'égard de la population de Ghaza coupable, à ses yeux, de n'avoir pas abandonné le Hamas, comme il l'espérait. C'est dire que la crise humanitaire risque de s'aggraver. Dans ces conditions, nous ne pouvons que saluer et soutenir les ONG qui cherchent à aider la population palestinienne, en bravant tous les risques. Mais si cet aspect humanitaire est à considérer, il serait politiquement dangereux de réduire la bataille actuelle de Ghaza à cette seule dimension. A force d'insister sur cet aspect, les politiques et les médias européens cherchent, en fait, à nous faire oublier que la responsabilité première de ce drame humanitaire incombe à Israël, et que la crise humanitaire est le résultat direct de son agression barbare. Mais, le plus grave est que l'insistance sur l'aspect humanitaire sert à occulter le nœud politique de la crise, qui est d'ordre politique. Une guerre, atroce, lancée par un Etat colonialiste contre un peuple colonisé, en vue de le pousser à se désolidariser de ceux, parmi les siens, qui résistent à la colonisation, devient subitement, dans le discours politique et médiatique européen, un «conflit» apitoyant, où la balance démographique de 1 Israélien, pour 100 Palestiniens tués, rejoint le racisme post-colonial le plus abject. Pourtant, ce qui se passe à Ghaza n'est, ni un tremblement de terre, ni une épidémie, mais bien le résultat d'une décision politico-militaire prise, au plus haut niveau, d'un Etat qui vient de voir ses relations avec l'UE «rehaussées» par la grâce de son ami, de toujours, Nicolas Sarkozy. Argumentaire raciste La violence et la guerre ne sont pas des épiphénomènes dans l'histoire de cet Etat, colonialiste et expansionniste. Elles sont dans sa nature essentielle. Dans son discours et sa pratique, le colonialisme israélien, comme tout colonialisme, s'accompagne d'une forme exacerbée de racisme. Qu'on en juge par ce que disent les dirigeants israéliens, eux-mêmes. Nous ne citerons pas les discours racistes, primaires, du genre de celui de Golda Meir, qui osait s'interroger sur l' «existence» du peuple palestinien. Prenons, plutôt, le discours le plus récent des dirigeants israéliens actuels, qui prétendent qu'ils ne font pas la guerre au peuple palestinien, mais au Hamas. Que cache ce discours, relayé par les politiques et les médias européens ? Israël chasse les Palestiniens de leurs terres, les surexploite, économiquement, et les opprime, politiquement, à coups de discriminations politiques et judiciaires, dans le cadre d'un système d'apartheid mais, en même temps, il est prêt à faire la paix avec eux, s'ils se laissent faire sans broncher. Il promet qu'il ne leur fera pas la guerre, s'ils se tiennent tranquilles. La preuve, regardez ce qui se passe, avec la bourgeoisie compradore et la bureaucratie, corrompue, de Mahmoud Abbas ! Israël ne leur fait pas la guerre, puisqu'elles acceptent le fait accompli colonial, au nom du réalisme politique ! Les militants et les sympathisants du Hamas n'acceptent pas cette politique du fait accompli colonial ? Israël est, «malheureusement», obligé de leur déclarer la guerre ! Quelle est la logique qui sous-tend pareil raisonnement ? Pour le savoir, posons-nous la question simple : Que pense, au fond de lui, un être humain sensé d'un autre être humain, qui se résigne indéfiniment à ce qu'on le déleste de ses droits et de sa dignité ? De deux choses, l'une : ou bien les dirigeants israéliens ne sont pas des êtres humains sensés et, alors, on comprend pourquoi ils ne se posent pas la bonne question, ou bien ils sont des êtres humains sensés, capables de se poser la question et d'y répondre justement (par le droit à la résistance). Dans ce cas, ils dénient la qualité d'être humain aux Palestiniens, dans la mesure où ils attendent d'eux une réaction autre que celle qu'on est en droit d'attendre d'êtres humains mis dans pareille situation d'oppression et d'injustice ! On voit, à quelle logique raciste, et infâme, se sont rangés les politiques et les médias européens, qui reprennent à leur compte l'argumentaire israélien, sans autre jugement. Cautionner le discours politique, qui voudrait réduire la bataille de Ghaza à sa seule dimension humanitaire, revient à occulter la véritable nature de cette guerre qui constitue, avant tout, une guerre d'une puissance coloniale qui s'accroche à son statut colonial, au mépris de l'histoire et de la volonté de tout un peuple. A force de diaboliser le Hamas, les politiques et les médias, qui reprennent à leur compte la propagande israélienne, en viennent à perdre de vue qu'il existe un peuple, le peuple palestinien, qui a prouvé, tout au long de son histoire, qu'il reste attaché à sa terre et à son droit, imprescriptible, de fonder un Etat national viable. Dans sa lutte, ce peuple s'est donné des organisations sociales, politiques et culturelles appelées à défendre ses droits légitimes en fonction de programmes, de stratégies et de tactiques dictés par la nature de sa lutte, et la conjoncture régionale et internationale. Si jamais le Hamas venait à disparaître, ou à abdiquer, comme l'a fait la direction du Fatah, d'autres mouvements renaîtront, et reprendront le flambeau de la lutte. Israël pourrait, tout au plus, gagner du temps mais, comme tout système colonial, le système colonial israélien est condamné par l'histoire. «Paix des braves» Certes, nous entendons, ici et là, des voix européennes s'élever pour dire que le prise en charge de la crise humanitaire de Ghaza ne peut se faire sans un arrêt des hostilités et que ce dernier, pour être durable, doit être suivi de négociations sérieuses pour l'instauration de la paix dans la région. Mais, à y voir de plus près le cadre, et les conditions de ces négociations, on est vite avisé sur la nature véritable de la «paix» proposée. Une paix qui devrait cautionner et légaliser le rapport de forces actuel, en faveur du colonisateur israélien assuré, qu'il l'est, de la protection de son parrain américain. Une paix qui consiste à laisser aux Palestiniens une sorte de bantoustan, à la merci économique, politique et militaire d'Israël. Cette paix, si elle venait à se réaliser, un jour, sera-t-elle durable ? Oui, si on continue à raisonner comme un raciste de la pire espèce, et croire que les Palestiniens sont des sous-hommes, capables d'accepter ce qu'aucun peuple digne de ce nom ne saurait accepter. Mais, si on pense que tout peuple a droit à la liberté, à la justice et à la dignité, alors une telle «paix», si jamais les Américains réussissaient à l'imposer, pour un moment, risque de ne pas durer longtemps. Le temps en question n'est pas une abstraction physique. Ce sont des milliers de vies humaines, fauchées par la violence et la guerre. Ce sont des milliers d'orphelins. Ce sont des souffrances indicibles. C'est une haine mutuelle, qui ira en grandissant et qui fera reculer, d'autant, la perspective d'une paix véritable et durable. Et pour être durable, la paix a besoin de justice. Justice, pour le peuple qui en est actuellement exclu, à savoir le peuple palestinien.