Un «groupe d'influence». C'est par ce timide euphémisme qu'une agence de presse européenne désigne l'AIPAC (American Israel Public Affairs Committee), le tout-puissant lobby israélien à Washington. Alors que la presse américaine n'hésite pas à parler de lobby israélien, cette étonnante pudeur montre combien la crainte révérencieuse qu'inspire ce groupe de pression tétanise la presse «libre». Au point de pousser une agence de presse à des circonlocutions pour le moins ridicules pour éviter le terme de «lobby», tout à fait ordinaire aux Etats-Unis. Mais il est vrai qu'avec l'AIPAC, il ne s'agit pas de la ligue de défense des producteurs de brocolis mais d'une organisation qui sert ouvertement des intérêts extérieurs aux Etats-Unis et exerce une pression constante sur les acteurs politiques. Deux universitaires américains, John Mearsheimer et Stephen Walt, ont osé démontrer que le «lobby israélien» exerce une pression sans commune mesure et parvient à contraindre la plus grande puissance mondiale à mener, au Proche-Orient, une politique étrangère contraire à ses propres intérêts. Les deux universitaires ont subi, sans surprise, l'accusation automatique d'antisémitisme. Au tout début de son mandat, le président Barack Obama découvrait la toute-puissance du «lobby» que l'on ne nomme pas. Il a dû renoncer, sous le tir de barrage de membres éminents de l'AIPAC, à la nomination de l'ambassadeur Charles W. Freeman au poste de président du National Intelligence Council. Lâché par l'administration Obama, l'ambassadeur Freeman a renoncé de lui-même à son poste en dénonçant le rôle d'un lobby dont la stratégie « touche le fond du déshonneur et de l'indécence » et dont l'objectif est « le contrôle du processus politique par l'exercice d'un droit de veto sur la nomination des personnes qui contestent le bien-fondé de son point de vue, la substitution d'une justesse politique de l'analyse, et l'exclusion de toutes les options pour la prise de décisions par les Américains et notre gouvernement autres que celles qu'il favorise ». L'affaire Freeman était une illustration caricaturale du bien-fondé des thèses de John Mearsheimer et Stephen Walt. D'autant que Freeman n'a pas hésité dans sa lettre à souligner que ce lobby est parvenu à empêcher l'opinion américaine et le gouvernement des Etats-Unis «à examiner toute option de politique américaine au Moyen-Orient opposée à la faction au pouvoir en Israël ». Ce lobby que l'on ne nomme pas s'est exprimé au sujet de la crispation - et non crise - entre Washington et Tel-Aviv après la décision du gouvernement israélien d'humilier le vice-président Joe Biden, pourtant philo-sioniste de longue date. L'AIPAC n'a en effet pas hésité à tancer l'administration américaine en reprochant à ses responsables leurs déclarations devant le mépris affiché à l'égard du vice-président des Etats-Unis. Dans un pays où un patriotisme primaire s'affiche à tout bout de champ, l'AIPAC se sent suffisamment fort pour s'en prendre au gouvernement américain dans ses disputes avec un gouvernement étranger. L'effet s'est immédiatement fait sentir : Hillary Clinton a battu sa coulpe. Il ne reste que quelques dirigeants arabes - dont le malheureux Mahmoud Abbas - pour penser que l'administration américaine peut procéder à un rééquilibrage de sa politique. Cela fait partie des illusions que les «alliés arabes» s'échinent à cultiver même si Washington ne fait même pas mine d'y croire.