Ecrivain public, un métier n'étant pas près de s'éteindre, tire toute sa substance de cette plus que jamais tentaculaire bureaucratie. Dans les parages de toutes les mairies, les grandes administrations et autres organismes publics, l'écrivain public fait partie du décor et le temps d'un rapide «pianotage» va devenir l'intime confident de celui qui l'aurait choisi pour le rendre plus audible et plus visible. Dimanche, premier jour de la semaine, le secteur urbain d'El-Makkari est, dès les premières heures de la matinée, pris d'assaut par de très nombreux citoyens. Les files fluides devant les guichets de l'état civil avancent lentement mais ne désemplissent guère. Le service est rapide et l'espace réservé au public avec ses chaises fixes entreposées devant chaque comptoir montre clairement ce désir proclamé de ne mettre aucune barrière entre le citoyen et le préposé administratif. L'écrivain public du coin, un jeune à l'allure très entreprenante, n'arrête pas de cliqueter sur une vieille et minuscule machine à écrire. Le client, debout, explique en deux phrases ce qu'il cherche et en cinq minutes le voilà servi. Abordé, ce jeune homme a bien voulu répondre à nos questions. Ecoutons-le : « Les gens qui viennent ici solliciter mes services le font surtout pour gagner du temps et pour prendre possession au plus vite du document recherché. Par exemple, si on leur demande une déclaration sur l'honneur, ils viennent directement la faire établir ici. Bien sûr qu'au-delà de mes services, je les oriente surtout, car au fil des ans j'ai appris par cœur la procédure et la meilleure voie du comment faire. Comme vous voyez, les gens qui viennent pour remplir divers imprimés et qui n'ont pas le temps d'aller voir ailleurs pour se renseigner, sollicitent mes services. Les requêtes les plus sollicitées sont celles ayant trait aux demandes de rectificatif de prénom. Les requêtes sont à adresser à la justice. Car souvent, au retrait d'un acte de naissance, on découvre l'erreur et c'est le commencement des vrais problèmes». Il est loisible de voir l'écrivain public dans le rôle d'un médiateur et d'un facilitateur. Il aide le citoyen ou plutôt l'assiste dans ses diverses démarches administratives : rechercher un emploi, demander un logement ou un quelconque service auprès de l'administration Le métier fait vivre son bonhomme, et l'on compte un tarif compris entre 20 dinars - comme par exemple remplir un imprimé - et 200 dinars pour une requête élaborée dans le fond et la forme. Dans les deux langues, le plus souvent l'écrivain public peut se débrouiller. Mais ce qui lui donne cet atout de plus par rapport à ceux qui le font depuis peu dans les cybercafés est que ces derniers, même s'ils le font avec un ordinateur, ne connaissant pas tous les rouages de la procédure, transcrivent telle quelle la doléance. Pour ce jeune écrivain public, «il faut savoir discerner entre ce qui doit être dit et ce qui doit être élagué». «Il faut venir à l'essentiel et non pas se perdre dans des considérations qui fatiguent le sollicité», précise-t-il enfin pour mieux donner de la substance au métier désormais concurrencé. Pour l'histoire, l'écrivain public était considéré comme un pédant qui sait tout et qui peut faire entendre par procuration la voix de celui qui n'a pas de voix. Avant, il écrivait des lettres avec les beaux mots et la belle formule apprise par cœur au fil du temps. La transgression lui était interdite et sa parole incontestable. Ahmed Saber, chanteur engagé des années soixante, a su comment se servir de son métier pour aller contredire, à travers la chanson, l'ordre établi qui commençait déjà en ces temps-là à imposer sa chape tentaculaire. Même si le métier a évolué, il demeure quand même omniprésent pour d'innombrables citoyens qui se sentent noyés au milieu du fatras de documents et d'appuis. L'écrivain public reste un métier qui transcrit sur le parchemin de l'indigence tous les désirs contrariés. Désir d'un emploi, d'un logement et tout ce qui fait le bonheur d'un vœu enfin exaucé.