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Le chômage est injuste
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 22 - 10 - 2011


Suite et fin
UN AUTRE REGARD SUR SOI ET SUR LA SOCIETE
Le chômage nous oblige à vivre autrement. Pour le chômeur, il va s'agir de trouver des activités et des moyens inédits pour s'adapter à ce qui lui arrive. Cette adaptation est indispensable. C'est tout un cheminement philosophique qui procède par étapes et nécessite du temps, une véritable révolution intérieure.
Il vaut mieux contrôler sa souffrance que la subir. Le savoir et la philosophie sont des remèdes efficaces et gratuits : il suffit d'aller les chercher, à la bibliothèque ou chez des copains.
Moi, j'ai un faible pour le stoïcisme.
Rester stoïque, c'est pouvoir endurer sa souffrance sans se plaindre, mais il n'y a pas que ça.
Le stoïcisme est une éthique dont l'ataraxie - la quiétude absolue de l'âme - est l'objectif. Fondé sur le savoir, c'est un principe de bonheur que l'on cultive en vivant en harmonie avec soi-même.
On accuse le stoïcisme d'être individualiste et insensible : c'est abusif. La connaissance de soi permet de mieux appréhender ce qui nous entoure (charité bien ordonnée...), il faut des limites à la compassion (sinon elle est nuisible), et l'exigence est dure parce qu'elle refuse de niveler par le bas (ce qui est plutôt noble...).
Les stoïciens considèrent que le corps n'est que l'enveloppe de l'esprit, «un vaisseau d'argile avec une pinte de sang», disaient les anciens. C'est notre ESPRIT qui nous libère car, aux yeux des stoïciens, la liberté n'existe pas mais elle s'acquiert personnellement à travers le savoir et le courage. C'est l'authentique volonté qui fait qu'on obtiendra durablement un jour ou l'autre ce que l'on souhaite, non la ruse ou la force physique.
Tous les maux de l'homme (bassesse, lâcheté) s'articulent autour de la crainte de la mort. La peur est notre pire ennemi. Elle nous avilit par des dilemmes stupides et des compromis honteux. Elle nous rend mauvais. Se vendre, flatter autrui par crainte de la mort, de la douleur, de la misère ou de la prison sont méprisables. «Ceux qui ont peur de perdre leurs biens craignent avant tout la honte, pas la famine».
S'affirmer sans peur est un réel pouvoir qui déstabilise l'adversaire et inspire le respect. La liberté de l'âme a un coût qu'il faut assumer- le prix de la qualité ? - mais quand on reste soi-même, qu'on refuse de ressembler aux autres, qu'on ne cherche pas à être admiré, qu'on ne ment pas, qu'on ne fuit pas son malheur et qu'on assume ses responsabilités, on peut être nu et dépossédé mais tout aussi fort, respecté et heureux. «On n'a pas besoin d'être pourvu d'honneur pour être un homme de bien».
Si le stoïcisme méprise la faiblesse, il engage vivement à ne laisser personne nous pourrir la vie. Je vous laisse imaginer l'utilité de cette forme de pensée quand on est au chômage et que tout s'effondre. A vous de puiser dans ces armes qui vont vous permettre de résister et de combattre !
Bon courage à toutes et à tous.
LE CHOMAGE DEVIENT-IL UNE MENACE POUR L'ORDRE ETABLI ?
Avec la crise et ses conséquences émerge un débat de société salutaire qui remet en question le travail, sa centralité, son rôle, son sens et son utilité.
Partout dans le monde, ferment des entreprises qui employaient beaucoup de main d'œuvre et naissent de nouvelles industries qui en emploient très peu. Le travail s'automatise de plus en plus. Est-ce une société de chômage qui se met en place ? Ou une société qui libère du temps pour vivre ?
Il y a plus de 150 ans, les premiers économistes annonçaient la venue d'un âge d'or où la machine libèrerait les hommes. Aujourd'hui nous percevons ces promesses plutôt comme des menaces: au lieu d'être libérés du travail, nous craignons d'en être privés. La soudure et la peinture des carrosseries de voiture sont assurées par des robots qui font le travail de deux équipes d'ouvriers. Des usines sans ouvriers fabriquent des machines-outils de précision. Des dessinateurs eux-mêmes sont progressivement remplacés par des machines capables d'élaborer les plans d'une trentaine de techniciens qualifiés.
En gestation depuis la deuxième guerre mondiale, la troisième révolution industrielle est bien là. Elle promet - ou menace, selon le point de vue qu'on adopte - de révolutionner notre relation avec le travail. Elle rompt le lien entre croissance de la production et croissance de l'emploi. Elle met à mal la politique qui prétend que la relance de l'investissement réduira le chômage. Dans un monde où de plus en plus d'entreprises sont informatisées, la politique du "plein emploi" est une UTOPIE. Les questions qui se posent maintenant sont : Cette troisième révolution industrielle va-t-elle conduire à la société du chômage ou à la société du temps libre ? Conduira-t-elle à un nouvel âge d'or où nous travaillerons de moins en moins tout en disposant d'une masse croissante de richesses ? Sera-t-il possible de travailler moins pour gagner plus ?
SOCIALEMENT UTILE, ECONOMIQUEMENT EFFICACE
Pour l'instant, c'est le contraire qui se pratique : on ne travaille plus pour produire mais on produit pour travailler. Nous sommes en train de détruire des forêts et dilapider des ressources naturelles tout en polluant la planète avec, pour but principal, de créer du travail. Cette logique ne peut mener qu'à la catastrophe. Il devrait être possible de réaliser la promesse de la deuxième révolution industrielle, notamment de différencier le lien trop direct entre travail et revenu, et de réviser l'éthique selon laquelle le sens de la vie se trouve dans le travail. Au moment où l'automatisation permet de produire d'avantage en un moindre nombre d'heures, le besoin de productions croissantes s'épuise : l'utilité de la croissance devient douteuse, même néfaste sur le plan écologique, tant les niveaux de production actuellement atteints comportent déjà de gaspillages. La production a déjà dépassé le niveau où elle était socialement utile et économiquement efficace, et la plupart des industries produit plus tout en réduisant leur personnel. Ils visent même précisément ce but : économiser de la main d'œuvre.
Une majorité de jeunes s'attend à faire l'expérience du chômage. La moitié des diplômés supérieurs restent au chômage des années et plus après la fin de leurs études. Par la désaffection qu'il provoque à l'égard d'une vie de travail de plus en plus précaire et vide de sens, le chômage, finalement, et surtout quand il dure, devient un danger pour l'ordre établi. On voit alors les partisans de cet ordre réclamer "la création d'emplois" comme une fin en elle-même, indépendamment des buts que ces emplois servent : qu'il s'agisse d'armes de guerre, d'équipements de grande luxe ou de gadgets jetables, tout est bon pourvu que cela "crée du travail".
POURQUOI TRAVAILLER ?
Et si chacun avait non pas plus d'argent mais plus de temps libre pour mieux prendre en charge sa propre vie ? Nous ferions moins de travail qui nous indiffère ou nous pèse et plus de travail qui nous mobilise, nous exprime, nous épanouit. Moins de travail anonyme qu'on exécute automatiquement pour gagner un salaire et plus de travail dans lequel on donne le meilleur de soi pour obtenir un résultat auquel on tient. Il ne s'agit pas de supprimer le premier au profit du second, mais seulement de le réduire à une fraction de notre temps. Il ne s'agit pas de "déshonorer" le travail, mais de distinguer le travail obligatoire auquel nous condamne la lutte pour la vie, et le travail volontaire, qui consiste à œuvrer à ce qui plaît. Economiquement, cela serait possible, mais la question est de savoir comment le possible peut devenir réalité. C'est la transition, non pas le but en lui-même, qui pose problème.
Il faudrait introduire l'égalisation des revenus ; la garantie à tout citoyen d'un minimum vital indépendamment de tout emploi ; la refonte complète du système éducatif, dans le sens non pas de diplômés-chômeurs mais d'individus autonomes capables d'un large éventail d'activités, et le développement d'un secteur d'autoproduction dans des ateliers, des coopératives, des réseaux d'entraide...
Toutes ces questions, cependant, ne vont pas encore au cœur du problème : Pourquoi travailler ? Travailler, est-ce un besoin ? Ou un moyen seulement de gagner sa vie ? Ou une manière de s'insérer dans la société, d'échapper l'isolement et au sentiment d'inutilité ? Mais supposons que nous puissions vivre sans travailler : que choisirions-nous de travailler tout de même, ou de gérer tout autrement nos occupations et notre temps ? Travail-sacrifice ; travail-drogue ; travail-justification ; travail-souffrance ; travail-ennui. Depuis des millénaires, il est écrit que "tu gagneras ton pain à la sueur de ton front". Serait-il impie de remettre en question cette nécessité ?
LE TRAVAIL EST MALADE DU CAPITALISME
Une grande majorité de jeunes abordent la vie active en aspirant à un travail "intéressant" dans lequel ils puissent investir le plus clair de leur énergie. L'argent n'est pas l'essentiel. Mais progressivement, à force d'être déçue, cette aspiration s'éteint. Le travail tend à devenir un gagne-pain. L'idée même que le travail pourrait être gratifiant s'estompe. Ils commencent à penser que devoir travailler empêche de vivre. Ils se demandent s'il ne serait pas possible de réconcilier le travail et la vie. L'automatisation et la technologie n'en pourraient-elles être les moyens ? Au-delà de la société du chômage, ne permettent-elles pas d'imaginer une société différente où, le travail étant mieux partagé, tous auraient plus de temps libre ?
Nous sommes les témoins d'un double phénomène, à première vue contradictoire : d'une part une inquiétude généralisée, chez les jeunes, de ne pas trouver d'emploi et de devenir chômeurs, et, d'autre part, dans la même classe d'âge, une désaffection croissante envers le travail et les valeurs qu'il est censé véhiculer. Voilà un système - le système capitaliste - ébranlé par la crise qu'il connait, qui se révèle incapable d'alléger la charge, parfois insupportable, de ceux qui ont du travail, pour en donner un peu à ceux qui en manquent. Voilà une industrie qui, sous prétexte de transformer la nature, est en train de la détruire. Voilà même des syndicats, qui se sont donné pour tâche d'abolir la servitude du salariat, et qui se trouvent amenés à réclamer des emplois dont l'utilité sociale est pour le moins contestable.
Le partage du travail est devenu un problème si obsédant qu'il empêche de s'attaquer à celui du partage du capital. En somme, le travail est malade. Il traverse une crise dont les aspects sont multiples : économique (le chômage), écologique (la destruction des ressources naturelles) et culturelle (la perte de sens). On ne trouvera plus le "plein emploi" par la fuite en avant dans le productivisme mais par la redéfinition du travail, incluant d'autres critères que ceux qu'utilise le système capitaliste.


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