Il y avait un berger, il y avait des moutons. Le berger dit: «Si vous me chassez, le loup va vous manger». Les moutons n'ont rien dit car ils se sentaient eux-mêmes dans l'estomac du berger. Du coup, la différence n'était pas vitale pour leur façon d'analyser le monde comme puissance et dévorations. Le berger du berger expliquera alors que « Sans moi, vous vous mangerez ». Là, les moutons se sont regardés et se sont dit que c'est possible, même sans les dents. Rien n'est plus menaçant pour un mouton qu'un autre mouton, selon la propagande. Les moutons ne peuvent pas marcher sur quatre pattes sans le bâton du berger comme cinquième, dit la propagande officielle. Les moutons descendent d'une fière lignée de moutons morts pour que leur laine ne soit pas tondue par des bergers étrangers, mais seulement par des bergers locaux, dit l'histoire officielle des moutons. Les moutons sont un peuple fier et fort, guerrier et indépendant, dit le berger aux moutons qui voyaient bien qu'il n'était pas un mouton, donc pas de leur peuple. Le lien manquait cependant entre la laine et la révolte. Le concept et la brindille entre les dents. L'une (la laine) ne poussait pas vers l'autre (la révolte), ni de la même manière. Le berger a dit: «Si vous choisissiez un autre berger, vous serez mangés.» Les moutons se sont dit, du moins pour ceux qui avaient de la laine sur le dos, pas dans la tête : «On sera mangés de toute manière». Puis d'autres bergers sont venus et ont regardé les moutons en discutant entre eux avec des coups d'œil qui ressemblaient à des palpations indécentes. «Si vous nous choisissez, le loup ne viendra pas et vous serez nourris jusqu'à grossir et devenir des vaches», cria la télé des bergers. L'un des moutons écrivit sur un mur : «L'obésité est le linceul du mouton.» Les autres n'avaient même pas besoin d'écrire : tout le monde des moutons savait que plus un mouton est maigre, plus il est éternel. Puis les moutons ont senti frémir les moutons, sans rien plus que les excuses du vent. Sans changement. Le berger regarda le troupeau et reprit confiance : il voyait la laine s'allonger et le train passer et la menace s'éloigner. Que peut un mouton contre un berger là où il ne peut rien contre lui-même. Un autre berger complice joua au loup à l'horizon. Les moutons se serrèrent faute de mieux et de conscience. Il ne resta rien de plus qu'un tas de laine, là il y a eu un feu de questionnement. Le berger le savait : un mouton ne peut pas changer de veste car sa laine est collée à sa peau. Contrairement à lui. L'étoile du berger ne dit rien. On lui avait fermé sa gueule avec un croissant. Le ciel était partagé entre une étrange moitié blanche et une autre verte. Que regardaient les moutons avant de dormir, les uns dans les autres. Le vent agita le tissu céleste puis le ciel se déchaussa derrière la montagne et tout le monde s'endormit. Sauf le berger qui s'interrogea s'il pouvait vendre deux fois plus de moutons en les faisant se reproduire, patiemment, ou en gonflant leur fichier électoral.