Dans l'horreur où la Syrie est plongée, un homme qui mange le cœur d'un autre homme mort peut susciter quelques indignations et on peut présumer qu'elles sont sincères. Pourtant dans cette guerre civile syrienne très alimentée de feu et d'huile de l'extérieur, les choses sont déjà allées très loin. Il y a un proverbe arabe qui dit que le mouton après avoir été égorgé n'a plus mal quand il est dépecé. La Syrie, c'est ce mouton dont le cœur est probablement déjà mort. Elle est tuée par des Syriens qui s'enivrent de sang mais le dépeçage ce sont les autres qui le font. La négociation entre Syriens pour une nouvelle Syrie a été constamment entravée par des arguments spécieux. Le plus répété - et il continue à ce jour alors qu'une conférence internationale sur la Syrie se prépare - est celui du départ préalable de Bachar Al-Assad. Exigence faussement morale que viennent d'ailleurs de réitérer les parrains extérieurs de la rébellion syrienne (Turquie, Arabie Saoudite, Qatar, Emirats arabes unis et Jordanie) mais dont le but réel est uniquement de faire barrage à une solution. Bachar Al-Assad n'est pas l'avenir de la Syrie, il n'est déjà plus son présent. Mais ceux qui ne veulent pas de ce préalable en Syrie - ils sont nombreux et ne se réduisent pas aux appareils de sécurité - font partie du présent de ce pays et entendent faire partie de son avenir. Et ce présent et cet avenir doivent nécessairement être négociés. Cela est l'enjeu central. Le «préalable» du départ de Bachar Al-Assad a servi constamment d'argument fallacieux pour repousser la négociation «entre Syriens». Au fil de la guerre et des horreurs, les Syriens se font la guerre mais ils n'en maîtrisent pas les fils. Le cœur de la Syrie, c'est, au-delà du régime policier, le vivre en commun, un sentiment national qui transcende les replis communautaires et confessionnels. Ce cœur est gravement atteint et on peut se demander s'il pourra être un jour guéri. Pour l'instant, les Syriens sont incités à se manger et à boire leur propre sang. On les aidera à ne pas se modérer dans l'ivresse de la violence et le sang. Plus la Syrie est détruite et plus elle deviendra une fiction, un mouton mort qui ne sentira rien quand il sera dépecé. La destruction systématique de la Syrie ne gêne plus, la seule inquiétude des tireurs de ficelles est le débordement de la guerre vers les pays de la région. Qui n'a rien d'une simple hypothèse, une guerre qui est entretenue finit, en durant, par ne plus se limiter aux balises que l'on croit avoir mises. Erdogan découvre que son implication dans le conflit syrien n'a pas besoin d'un passeport pour venir chez lui. Les Libanais aussi se retrouvent sur les chemins sinistres de la guerre civile. La tenue d'une conférence internationale sur la Syrie proposée par la Russie et les Etats-Unis constitue une faible possibilité de remettre en marche une solution. Mais il ne faut pas s'y tromper, le conflit échappe aux Syriens. C'est un marchandage entre puissances extérieures qui se profile et uniquement cela. Le mouton ne sent rien.