Le mot «indépendance» n'a pas de nationalité et s'il faut lui en donner une, ce serait indubitablement celle de la Suède. Beaucoup d'Algériens, du moins les plus âgés et les moins amnésiques, continuent, même si les temps ont bien changé, à voir la Suède à travers le prisme du grand disparu Olof Palme. Un homme libre, discrètement tenace, qui n'allait pas du tout dans le «bon sens» occidental, qui pensait à la justice, au droit, au refus de la domination. C'était un homme exceptionnel, dans tous les sens du terme, mais son pays l'était aussi. Ne serait-ce que de pouvoir donner, de temps à autre, des dirigeants qui affirment une singulière identité suédoise; une identité à contre-courant, refusant que le plus fort, le plus puissant, soit nécessairement celui qui a raison. On avait dit d'Olof Palme qu'il était un «tiers-mondiste» mais il était bien plus que cela. Ce n'était pas un utopiste, c'était un réaliste, convaincu que les actes et les prises de positions d'un pays comme la Suède sont d'une grande importance. Et que cela est une raison de plus de ne pas faire de compromis sur ses grandes valeurs. On a pensé immédiatement à Olof Palme après l'annonce, vendredi, par le Premier ministre suédois Stefan Löfven, de son intention de reconnaître l'Etat de Palestine. Elle a provoqué, sans surprise, des réactions outrées en Israël et aux Etats-Unis. Et un silence contraint en Europe. Sur le «vieux continent», plus personne parmi les dirigeants n'ose dire un mot de «trop» à l'égard d'Israël. Pourtant, la plupart des responsables admettent en «off» que ses dirigeants ne veulent pas la paix et pratiquent une politique d'épuration ethno-religieuse dans les territoires occupés. Il existe une forme de consensus sans courage au sein des classes dirigeantes européennes pour admettre une «exception» israélienne dont les dirigeants ne sont pas tenus de respecter les lois internationales. Ils savent bien que cette politique de connivence alimente aussi les haines mais n'osent pas faire la moindre remarque à Israël. Washington, en définitive, décide de ce que doit être la politique occidentale et il n'est pas difficile d'en connaître la couleur. Washington a réagi au quart de tour après l'annonce de la Suède pour mettre en garde les autres pays européens contre la tentation de suivre l'exemple suédois. Le gouvernement américain a en effet indiqué, quelques heures seulement après la déclaration courageuse du Premier ministre suédois, que toute «reconnaissance internationale d'un Etat palestinien» était «prématurée». L'argument des Américains -repris d'ailleurs par Israël- est qu'un Etat palestinien doit naître par le biais d'un processus de paix, d'une «solution négociée» et de «reconnaissance mutuelle» entre Palestiniens et Israël. Même les éternels négociateurs palestiniens d'Oslo ont haussé les épaules devant ces propos vides de sens. Cela fait deux décennies qu'ils les entendent et qu'on les mène en bateau dans des fausses négociations qui couvrent une entreprise méthodique de colonisation et de dépossession. Ces mots creux, ce ne sont pas seulement les Palestiniens qui les entendent. Le monde entier constate que la protection américaine et occidentale alimente et entretient une interminable injustice qui est en train de faire muter un conflit politique et territorial en une inextricable guerre de religions et de civilisation. C'est à l'honneur des Suédois de ne pas accepter ces faux-semblants et de montrer la voie. «Ce n'est pas aux Etats-Unis de déterminer notre politique», a répondu la nouvelle ministre des Affaires étrangères et ancien commissaire européen, Margot Wallström. Olof Palme aurait approuvé sans le moindre doute. Sans la moindre hésitation.