L'application de l'alinéa 4 de l'article 102 a donc logiquement conduit l'ancien président du CNT et actuel président du Sénat, Abdelkader Bensalah, à être désigné par les deux chambres réunies du Parlement chef de l'Etat pour les 90 prochains jours. Ce sera lui, sauf changements extraordinaires, qui va conduire la transition politique avant l'organisation d'élections présidentielles. Si l'aboutissement logique de cette désignation n'étonne guère politiques et constitutionnalistes, au regard du strict respect de la loi fondamentale, il n'en demeure pas que le recours à l'article 102 est un piège et un retour à la case départ et une remise au placard de tous les espoirs du mouvement populaire du 22 février. Bensalah chef de l'Etat, même par intérim, est un déni de tout ce qui a été fait jusqu'à présent par les forces politiques, la société civile et le peuple pour qu'il y ait réellement un changement autant du mode de gouvernance, du retour aux principes fondamentaux de la démocratie que du départ de tous les symboles du régime Bouteflika. Et le nouveau président fait partie intégrante des «meubles» du régime Bouteflika, tout comme le président du Conseil constitutionnel et le Premier ministre Noureddine Bedoui. Les trois personnages de l'ère Bouteflika sont toujours là et, bien plus, peuvent prétendre à durer et à conduire la transition. Une situation politique malsaine, déprimante pour les millions d'Algériens qui se sont mis dans la tête de débarquer tout le régime Bouteflika. La désignation comme une lettre à la poste du chef de l'Etat par intérim envers la volonté populaire et l'opposition, avec des interventions musclées de la police contre les étudiants à Alger qui protestaient contre cette nomination, prélude à un changement de position des autorités vis-à-vis des manifestants. Il y a comme un air de retour de bâton politique contre tous ceux qui veulent dorénavant s'opposer au cours naturel des événements. C'est-à-dire un gouvernement de transition conduit par Bedoui, sous la direction d'un chef de l'Etat par intérim, l'ex-président du Conseil de la nation. Certes, l'arrivée d'Abdelkader Bensalah à la tête de l'Etat, si elle est un accident de l'histoire, n'en revêt pas moins une certaine légalité détournée d'appliquer les lois de ce pays. Car l'article 102, décrié au plus fort du mouvement du 22 février, a été par la suite dépassé lorsque le chef d'état-major Ahmed Gaïd Salah lui avait ajouté les articles 7 et 8 de la Constitution, relatif le premier au fait que le peuple «est la source de tout pouvoir» alors que le second stipule que la souveraineté du peuple peut s'exercer par «référendum». L'article 8 de la Constitution renferme, cependant, une solution que beaucoup de politiques et d'experts avaient soulevée. «Le président de la République peut directement recourir à l'expression de la volonté du peuple» stipule un des points de l'article 8. Ce qui peut ouvrir la voie à M. Bensalah, s'il le souhaite ou est l'objet de pressions, de négocier une sorte de délégation de son statut à une personnalité consensuelle avec les représentants de la société civile et l'opposition pour satisfaire la volonté du peuple qui ne veut pas de lui. Et, surtout, pour éviter des scénarios dangereux que personne ne souhaite.