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Othman Saadi
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 22 - 12 - 2022

, que Dieu ait son âme, nous a quitté le 30 novembre 2022. Il avait 92 ans. Il s'en est allé doucement, comme une chandelle qui s'éteint, comme quelqu'un qui s'endort. Quelques semaines avant sa mort, qui s'annonçait déjà, je l'avais vu, alité chez lui, alimenté au sérum. Il m'avait cité les vers d'un poème, me disant dans un regard souriant et complice, «tu vois elle fonctionne bien, c'est ça l'essentiel, la mémoire.»
Coïncidences du temps, nous avons perdu en quelques semaines, trois figures, du mouvement national algérien, trois hommes pourrait-on dire de la «même trempe»: le Dr Sadek Hadjeres, le Pr Said Chibane et le Dr Othman Saadi. A 90 ans passés, ils ont tous trois traversé le siècle, habités par une même passion, celle de l'Algérie, celle de sa libération nationale. Ils avaient en commun d'être à la fois des hommes d'action et de réflexion, militants et combattants de la première heure, écrivains, journalistes. Lorsqu'on regarde leur itinéraire, on reste subjugué par la richesse de leur vie et de leur activité. C'est une génération exceptionnelle. En aura-t-on de semblables. On se prend parfois à en douter.
J'avais connu Othman Saadi après le soulèvement d'Octobre 88. L'atmosphère était à l'euphorie, aux grands espoirs malgré les blessures terribles des journées d'Octobre. Le parti unique avait laissé la place au multipartisme. Tout semblait désormais possible. Les partis politiques sortaient de la clandestinité tout heureux d'avoir survécu aux épreuves de celle-ci. Des militants qui ne se connaissaient pas, et qui pourtant appartenaient au même parti, se donnaient l'accolade avec émotion dans des réunions qui pouvaient enfin se tenir au grand jour.
À l'Université d'Alger, les étudiants de langue arabe tenaient meeting sur meeting. Des rassemblements monstres qui montraient comment la vieille université d'Alger francophone avait fait son temps. Par milliers, dans les amphis, ils venaient réclamer que la langue arabe prenne toute sa place et joue enfin le rôle que les textes lui réservaient théoriquement.
Othman Saadi avait été porté à la présidence de ces réunions. Malgré son âge déjà avancé, plein de jeunesse et d'enthousiasme, il apparaissait comme un leader naturel de ce jeune mouvement . Il avait bien du mal à gérer des discussions passionnées où de jeunes intellectuels en formation déversaient pèle mêle leur méfiance envers les autorités, leur rancœur des blessures de la marginalisation sociale des élites arabophones dans les appareils administratifs et économiques, où les élites francophones continuaient de dominer, leur dénonciation de celles-ci, et leurs difficultés à situer cette question de la langue au sein de toutes ces contradictions du pays qui éclataient simultanément.
Je réfléchissais à l'époque beaucoup précisément à ce rapport entre les conflits linguistiques et culturels dans notre pays et les conflits politiques, économiques et sociaux. Pour mieux comprendre, j'avais donc rejoint ces réunions, prenant le courage d'intervenir, dans un arabe encore à l'époque bien hésitant. Et pourtant, et c'était peut-être pour cela , pour ces efforts, qu'on m'écoutait avec attention et même avec sympathie. À la suite de ces grands rassemblements, une Association de défense de la langue arabe est créée, présidée par Othman Saadi. Je la regagne tout naturellement.
Une des qualités de Othman Saadi est la constance. il a consacré le plus clair de sa vie à la défense de la langue arabe et la culture algérienne. Il les a défendues souvent avec tellement de passion et de véhémence qu'il pouvait en apparaitre sectaire, radical et même violent pour ceux qui ne le connaissaient pas.
«Attention, c'est un extrémiste»
On m'avait mis en garde contre Othman Saadi: «Attention, c'est un arabo-islamiste, un extrémiste, un radical, un baathiste». Les hommes meurent étouffés par leurs préjugés...
Je découvrais un homme d'une immense culture. On trouvait chez lui une grande érudition aussi bien de l'immense patrimoine arabo-musulman que de la berbérité, et aussi du français dont il se servait dans certaines de ses recherches historiques et linguistiques.
Il était de ce genre d'intellectuels qui alliait la théorie et la pratique. Il l'a été toute sa vie, alliant l'écriture, la production littéraire au militantisme. Enfant, il abandonne l'école française après les massacres du 8 mai 1945. En 1951, il est diplômé de l'Institut Abdelhamid Ben Badis de Constantine. En 1956, il obtient son baccalauréat à l'université du Caire. Etudiant, il regagne les rangs du FLN, et il est secrétaire permanent du bureau de l'armée de libération nationale au Caire pendant la révolution armée. Après l'indépendance, il occupe des fonctions officielles, député, ambassadeur , membre du Comité central du parti du FLN etc.. Parallèlement il continue d'étudier: maitrise (Université de Bagdad 1976), doctorat (Université d'Alger, 1986). Dans les années 1980, il est le président du Comité de supervision scientifique sur la préparation du dictionnaire arabe moderne, adopté par le Fonds arabe pour le développement économique et social. Il assure en même temps, à partir de 1990 et, jusqu'à sa mort la présidence de l'Association de défense de la Langue arabe. Il abandonne alors toute activité officielle et il se met, à travers cette association, dans une sorte d'opposition culturelle à la politique officielle concernant la langue arabe. Il la juge inconséquente, timorée, pleine de contradictions et de reculs devant la langue française. Le mot «Défense» de la langue arabe soulève bien des polémiques mais il estime que c'est exactement de cela qu'il s'agit et que c'est un leurre de croire que la langue arabe est dominante dans le pouvoir politique et économique, Il est très vigilant sur les tentatives directes et indirectes d'en minimiser le rôle comme cette polémique qui éclate lorsqu'on essaye d'introduire l'arabe dialectal, au dépens de l'arabe littéraire, dans l'enseignement primaire.
On l'a accusé sans cesse d'être un dogmatique de l'arabisme. Au contraire toute sa pensée témoigne de sa recherche et de sa réflexion incessante sur l'Histoire de l'Algérie, sur les interactions incessantes entre arabité et berbérité , sur l'originalité de notre patrimoine historique par rapport aux autres pays arabes, bref sur la forme historique prise par notre identité arabo-berbère. Il défend, entre autre la thèse de la filiation philologique de Tamazight avec les langues sémitiques (punique, phénicien, arabe). Il a un souci non pas d'exclusion mais de synthèse permanent.
On retrouve le reflet exact de ces préoccupations dans la variété de ses œuvres: essais historiques et politiques, pièces de théâtres, romans, contes: «la question de l'arabisation en Algérie» (Beyrouth, 1967), «Sous le pont suspendu» (nouvelles, 1973) , «Une larme pour la mère des fils» (roman), «L'arabité de l'Algérie à travers l'Histoire» ( Alger, 1983 ), «L'Arabe Amazigh» (Alger, 1996), «Tatouage sur la poitrine» (roman, Alger, 2006), «Dictionnaire des racines arabes des mots amazighs» (Alger, 2007), «l'Algérie dans l'Histoire» (Alger, 2011), etc..
Un Chaoui
Peut- être que ce qui le rendait apte, et pourrait-on dire prédestiné, à cette vision, à cette volonté de synthèse dans l'identité nationale, c'est son identité Chaoui. Il était un chaoui, un vrai chaoui, au sens où on donne à ce mot en Algérie, une connotation de fierté et d'authenticité, une synthèse parfaite d'arabité et de berbérité. Cette identité était chez lui, non pas une posture politique ou idéologique comme chez certains, mais elle imprégnait ses œuvres. Il avait la passion du patrimoine populaire, Il était aussi bien capable de déclamer, avec le même plaisir, un poème de Mutanabbi qu'un vieux poème de poésie populaire «malhoune». Il savait de quoi il parlait.
On peut dire de Othman Saadi qu'il était un nationaliste, un nationaliste algérien. En tant qu'intellectuel, il a fait toute sa vie, un effort constant pour meubler historiquement ce nationalisme, au sein du nationalisme arabe moderne, pour en rechercher l'histoire.
Il avait une passion pour la langue arabe. Certains milieux occidentalistes algériens sont voulu y voir une obsession, un sectarisme. Ce n'était que la preuve de leur ignorance de la langue arabe. Quoi de plus naturel pourtant que d'aimer sa langue, cette immense langue littéraire. Certains de ces occidentalistes voyaient même dans le caractère littéraire de la langue arabe un défaut. Quel paradoxe, alors que c'est une lettre de noblesse pour une culture de posséder une langue littéraire.
Othman Saadi était perpétuellement étonné de cette hostilité absurde et obsessionnelle à la langue arabe . Et il écrivait sans arrêt pour dénoncer les outrances de la francophilie ( de ce qu'il appelait le» lobby francophone»). Les attaques contre Othman Saadi se cachaient souvent derrière la défense de la berbérité. Elle n'étaient pour certains que le cache misère de leur ignorance de la langue arabe . Peut-on en effet être hostile à une langue qu'on connait ? Quelle qu' elle soit, on l'aime du fait même de la connaitre.
Otman Saadi écrivait souvent pour s'inscrire en faux contre cette propagande qui le visait tout particulièrement. C'est ainsi qu'il avait écrit un long texte, paru dans le journal «El Watan» («Être berbère n'est pas être berbériste», 17 janvier 2010), où il voulait faire justice de de ces allégations. Il y expliquait que c'était le berbérisme qu'il critiquait et non la berbérité. Mais en vain. Allez combattre un préjugé... Les attaques se sont poursuivies car elles avaient une fonction, précisément celle d'opposer arabité et berbérité.
Ce qui explique, peut être cette l'hostilité dont il a fait régulièrement l'objet c'est que la vision de Othman Saadi dépassait l'objet de la langue au sens étroit, en tant que telle. Il pensait qu' il y avait derrière tout cela un conflit politique et social. La preuve de l'importance de ce conflit était qu'on essayait de le nier, de le minimiser ou de le cacher. Il a été l'un des premiers à comprendre que derrière le conflit linguistique principal en Algérie, entre langue arabe et langue française, il y avait en réalité une lutte entre des intérêts économique et sociaux pour la prédominance dans la société. Il voyait , dans ce conflit, la poursuite, la permanence sous cette forme culturelle, du conflit colonial. C'était donc chez lui, un nationalisme linguistique et culturel, qui prolongeait la lutte du mouvement national . «Il faut que la langue arabe devienne celle du travail, du pain» aimait-il à dire, et «alors le conflit s'éteindra de lui-même».
Pour ceux qui l'ont connu et apprécié, Othman Saadi, comme toutes les grandes figures patriotiques de sa génération, laisse un grand vide. Sa voix tonitruante, ses révoltes sincères, , ses indignations nous manquent déjà.


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