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De la réconciliation des langues après l'affaiblissement des idéologies
Publié dans El Watan le 30 - 08 - 2007

Aux lendemains de la fracture d'octobre 1988 et de l'horrible décennie rouge de la tragédie nationale, et à la faveur de la mondialisation et l'après 11 septembre 2001, de nouveaux discours dans la scène médiatique et littéraire algérienne ont commencé à pointer à l'horizon. Et il est heureux de constater que le recul des idéologies aura permis, vraisemblablement, d'atténuer les vieux démons des particularismes linguistiques et culturels au profit d'un plus grand rapprochement et ententes entre les hommes de bonne volonté pour faire face, ensemble, aux sérieux défis des enjeux communs engageant l'avenir de toute une nation.
D'une manière générale, les idéologismes réducteurs des divers extrémismes qu'on nous rabachait des «francophiles occidentalistes», «arabo-baâthistes», «islamistes-afghans», «berbéristes éthnicistes»,
«nationalistes chauvinistes», «ghachi-populiste», etc., ne peuvent qu'être terriblement destructeurs dans leurs confrontations adverses, et que seule
l'intercomplémentarité compréhensive et tolérante, dans un cadre officiel pluraliste, démocratique, est à même d'ouvrir, — dans l'intérêt de l'avenir du pays et de l'ensemble de sa jeunesse —, à de riches perspectives de symbiose harmonieuse que promet sérieusement l'atout majeur de la démocratie pluraliste authentique, à condition que celle-ci, bien entendu, soit assurée non pas par une gouvernance des bricolages génératrice de graves dérives, comme par le passé, mais par une gouvernance autre, comptable de ses responsabilités et surtout rationnelle dans sa gestion à tous les niveaux, consacrant concrètement l'Etat de droit et des lois et l'entrée de plain-pied dans la modernité universelle.
Et «c'est pourquoi, il serait temps de penser plus au bénéfice de l'usage linguistique unificateur, en faisant partager les mêmes objectifs à notre société. L'Algérie n'est plus en mesure de se permettre la politisation de la question linguistique. Aussi , nous nous devons de conclure que, de nos jours, il ne peut être question du fameux slogan qui disait : “Parti unique, langue unique”, pensée unique, charte unique, pour reprendre les propos justes de Mustapha Madi (in article Langue et identité, traduction de Larbi Seddik p.127 dans Collectif Elites et questions identitaires, Casbah Editions, Alger 1997)».
A côté de la langue nationale, il aurait été bien plus raisonnable de permettre aux langues natives ou dialectes nationaux de tamazight et maghrébi populaire une reconnaissance juridique, et par voie de conséquence, un certain statut, à côté de la langue nationale : «On se serait, ainsi, rangé du côté de la nature humaine sans porter atteinte aux choix politiques nationaux. Une telle option n'est pas du tout une entrave ni à la modernité ni à la souveraineté nationale. Notons que l'Etat de Floride, entre autres, reconnaît 6 langues officielles, celui de Philadelphie en reconnaît 5 : le français, l'anglais, l'irlandais, le chicano et l'allemand. Cela n'empêche pas les Etats-Unis d'être la première puissance mondiale !», comme le rapporte Abdau Elimam dans L'Exception linguistique en didactique (p.38, éditions Dar El Gharb, Oran-Es Senia, Algérie 2006).
Et cela n'empêche pas non plus les USA d'avoir une identité culturelle puissamment affirmée par le brassage extraordinaire de son multilinguisme et multiethnisme qui font justement la grandeur et la spécificité mosaïcale, pourrait-on dire, de la nation américaine.
Il y a lieu de signaler ici que le pluralisme linguistique, contrairement à ce que pensent certains, ne constitue nullement un danger pour l'unité nationale ou la langue nationale mais présente, plutôt, un atout enrichissant, surtout à l'heure de la mondialisation transfrontières. Ecoutons le spécialiste émerite, Abderrezak Dourari, titulaire d'un doctorat d'Etat en linguistique de l'Université de Paris III Sorbonne, en 1993, et qui a déjà publié de nombreuses et remarquables études et articles scientifiques dans des revues nationales et étrangères sur des thèmes se rapportant à la question amazighe, à la politique linguistique de l'Etat, à l'identité et à la culture algériennes en général, qui observe à propos du pluralisme linguistique et l'unité nationale dans le chapitre 9 de son édifiant ouvrage Les Malaises de la société algérienne. Crise de langues et crise d'identité, (Casbah Ed., Alger, 2003).
«… L'identité nationale algérienne ne peut être fondée uniquement sur la langue. Un pluralisme linguistique n'implique pas nécessairement une dislocation de l'unité nationale. L'identité algérienne, telle que tous la reconnaissent, est tridimensionnelle : berbèrité-arabité-islamité… La synthèse et non pas la stratification quasi idéologique, des trois dimensions historiques et culturelles, avec une histoire de lutte contre l'occupant et une intégrité territoriale forment l'algérianité d'aujourd'hui. Une telle perspective empêche la tentation de repli sur soi, ou l'exacerbation des traits identitaires particularistes au détriments des traits d'intégration.»
Dès lors, «la fameuse crise de l'identité dont on nous rabat les oreilles, nous dit Claude Lévi-Strauss, acquerrait une toute autre dimension. Elle apparaîtrait comme un indice attendrissant et puéril que nos petites personnes approchent du point où chacune doit renoncer à se prendre pour l'essentiel». (cf. Claude Lévi-Strauss C, 1973, Race et histoire, Gonthier, p. 21, 1987, P.U.F., 2e, p.11).
Autrement dit, l'avènement d'un tel milieu social démocratique et serein ne pourrait être possible que dans la mesure où toutes les parties prenantes du tout, de l'ensemble des paramètres culturels et identitaires, puissent communiquer entre eux dans un climat d'entente, d'interdépendance et de complémentarité citoyennes, et ce, dans un cadre national et officiel qui parachèverait résolument l'institutionalisation du plurilinguisme en Algérie. Ce qui ne remettrait jamais en cause, comme indiqué ci-dessus, l'unité nationale, ni ne dérangerait la langue arabe étant donné la large extension de son idiome, et sa popularité parmi les larges couches de la jeunesse algérienne, laquelle, aujourd'hui, lit, écrit, et communique de plus en plus en arabe mi-littéraire mi-dialectal, comme on peut aisément le constater dans la rue, ou lors de débats improvisés. Raison pour laquelle, les spécialistes les plus aguerris en matière de linguistique et communication sociale nous assureraient, sans l'ombre d'un doute, qu'en cas d'officialisation de tamazighité et du maghrébi dialectal populaire (daridja) par exemple, et la tolérance statutaire admise à des langues étrangères dans le champ communicationnel et culturel algérien, en général, la langue arabe, la langue nationale et officielle la plus popularisée, à la faveur de son ouverture résolue sur la modernité et l'universalité, sera loin, loin, très loin d'être mise en péril, par d'éventuels idiomes concurrentiels (le cas de la Suisse, de l'Amérique, de l'Australie, du Canada,… est édifiant au vu de leurs élites et larges couches de leurs populations multilingues usant de l'anglais, du français, de l'allemand, de l'espagnol…, en plus des langues vernaculaires aux idiomes pluriels polarisés dans leur ensemble par la langue généralisée courante dominante soit de l'anglais, de l'allemand, du français, etc.). Déjà, comme l'ont fait remarquer nombre d'observateurs à propos du cas de l'Algérie, aussitôt que tamazight a été reconnue langue nationale, au prix d'années d'abnégation et de luttes, la revendication amazighe sur la question des langues semble s'être émoussée, alors que tamazight n'est pas encore promue aussi, langue officielle ? Les cauchemars des dérives ne sont que dans les esprits hésitants ou de ceux exagérément anxieux des conservateurs, ou autres, des héritiers du baâthisme orientaliste qui a déjà rendu l'âme en Algérie, tout comme la francophilie occidentaliste du reste. C'est désormais l'ère mondialiste du multilinguisme caractérisé au minimum par le bilinguisme dans les pays émergeants, la question ne se posant pas dans les pays nantis. Comme l'a mentionné à juste titre Saïd Djaâfer dans sa chronique dans l'hebdomadaire en arabe El Mouhaqak du 11 mai 2007, «(…) le conflit entre arabisants et francisants s'est achevé, c'est désormais la loi de l'économie de marché (…)». Avis à ceux qui somnolent encore et qui risquent des réveils brutaux. Notre voisin, le Maroc, exige désormais des étudiants accédant à l'université, la maîtrise minimale de deux langues écrites et parlées.
Le bilinguisme et le multilinguisme sont désormais la caractéristique de l'aube de ce XXIe siècle (les téléspectateurs auront remarqué que chansons et films recourent de plus en plus au plurilinguisme, sans parler de la communication transcontinentale via Internet).
Et contrairement à ce que redoutent les puristes, cela constitue un facteur indéniable d'enrichissement, cet apport de langues — passerelles avec l'humanité du monde ne constituant nullement un danger — on ne le répétera jamais assez — pour la langue arabe qui est désarmais une langue universelle (enseignée aujourd'hui jusque dans les universités israéliennes) : L'arabité, comme l'a tôt signalé feu Kateb Yacine, n'est pas de l'ordre du racial ; l'arabité est essentiellement culturelle. Son statut consacré de langue nationale et officielle ne doit surtout pas prêter à confusion et signifier monopole outrageant d'un paramètre linguistique identitaire «unitaire» imposé au détriment des autres idiomes langagiers qui sont non moins constitutifs de la spécificité identitaire culturelle algérienne pluraliste. Il est inconcevable de remplacer une langue par une autre et comme l'ont souligné maints linguistes maghrébins, notre vrai système en Algérie, au Maroc, en Tunisie, au Maghreb en général, repose sur :
– l'arabe classique utilisé dans l'administration et en religion ;
– le français, qui, aujourd'hui, avec la fin des idéologies, n'est plus considéré comme une langue transitoire provisoire mais comme une langue indispensable d'études et de travail au même titre d'ailleurs que l'espagnol ou l'anglais et son corollaire le «globish» ( association de globalisation et english)
— tamazight avec ses variantes de nos origines patrimoniales ;
— la «daridja» de l'arabe dialectal populaire.
Pratiquement chaque langue a son utilité, son domaine. Il s'avère donc impossible de prendre pour modèle ce qui s'est passé en Occident, à la Renaissance où les langues vernaculaires ont été adoptées comme langues officielles, donc réfèrent juridique, au détriment de la langue savante, en l'occurrence le latin. L'argument religieux (arabe classique langue du Coran est le plus communément avancé). Ce qui se passe aujourd'hui, c'est que la diversité linguistique en Algérie et au Maghreb, en général, ait été réappropriée par la société civile qui en appelle à la reconnaissance de ce caractère pluraliste des langues en présence qui coexistent de façon plus pacifique qu'autrefois. Dès lors, il est légitime de s'interroger sur les perspectives d'un système d'enseignement, entre autres, s'il saura dépasser les faux clivages entre une culture savante qui ne s'exprimerait qu'en arabe classique, et une culture populaire en «daridja».
Aussi, le système d'enseignement devrait être repensé pour refléter ce phénomène de réappropriation de toutes les composantes de l'identité algérienne plurielle.
A quand donc, comme se le demande le linguiste Abdou Elimam, un enseignement qui fera place à la «daridja» comme lien pédagogique entre la maison et l'école, et se servira des similitudes qu'elle présente avec l'arabe classique pour enseigner cette dernière aux enfants, sans dénigrer leur langue maternelle ?
De la sorte, loin de mettre dans l'embarras la langue arabe scolaire, la «daridja» contribuerait, au contraire, au renforcement de celle-ci ! Faut-il rappeler que pratiquement chaque pays du monde arabo-maghrébin dispose de sa propre «daridja» populaire spécifique, quasiment utilisée dans l'univers des arts audiovisuels, théâtraux les joutes oratoires, les parlers populaires etc., tandis que l'arabe classique n'est utilisé que dans les services administratifs, religieux et les domaines d'études scientifiques et littéraires soutenus ? Nous sous-entendons par-là, évidemment, le recours dans ce contexte précis, à la langue soutenue par opposition au langage courant usité dans les contextes relâchés des parlers populaires et familiers… Et du moment que l'idiome de l'arabe académique officiel est en usage dans toutes les contrées de la sphère arabo-maghrébine et servirait de trait d'union ou de communication et d'échanges culturels, commerciaux, sportifs, et autres multidimensionnels, cette situation géo-culturelle particulière, générant et étendant en quelque sorte une langue «supranationale» que partageraient tous ces pays linguistiquement apparentés, ces pays-là, n'est-ce pas finalement, la reconnaissance et promotion de leur «daridja» locale nationale qui est à même de les distinguer, chacun, dans son authenticité langagiaire et culturelle-identitaire spécifique ? Ceci, sans pour autant que cela diminuerait de la portée culturelle de l'idiome transrelationnel de l'arabe commun, comme l'est la religion commune : arabité et islamité qui sont au même titre que les autres paramètres indissociables de l'identité nationale algérienne de l'amazighité, l'africanité et la méditérraneité intercomplémentaires.
Il s'avère dès lors plus que légitime de s'interroger sur les perspectives
d'un système d'enseignement national qui, dans le public comme dans le privé, est appelé à convier les Algériens et les Maghrébins d'une manière générale (Marocains et Tunisiens ont organisé maints colloques et rencontres sur la question) au même accès à cette pluralité de langues qui les constituent et leur ouvrent les portes de l'avenir ? Nous avons tout à y gagner quand nous voyons à quel point ce phénomène de réappropriation est dynamique et libère les énergies créatrices des jeunes générations montantes qui revendiquent avec fierté leurs langues et leur insertion de plain-pied sans complexes, dans le mouvement de modernité universelle.
Ce pluralisme des langues, pour en donner une image anecdotique, donne l'air d'être conforté en Algérie, par l'appellation «El Djazair» qualifiant l'Algérie en arabe algérien, et signifiant, ô ironie du sort, les îlots, ces parties interdépendantes formant le tout complémentaire, harmonieux de l'île globale, qui est là, comme pour nous inviter à méditer sur l'état de nature qui semble suggérer l'exemple à suivre par l'état de culture.
Tant il est vrai que c'est la somme de l'ensemble des éléments diversifiés mais interdépendants des paramètres culturels nationaux, et non pas les parties isolées qui sont, en fin de compte, constitutifs de l'algérianité : concept d'algérianité — et afin d'éviter toute interprétation confuse susceptible de l'apparenter à une quelconque vision réductrice de courants éventuels, passés ou présents — auquel nous prèferons substituer celui plus significatif et synthétique (mixte de désignation en arabe, berbère et français) de «djazaïrité».
Djazaïrité dont le processus d'élaboration dynamique pluraliste, dans la perspective mutationnelle d'approfondissement démocratique socioculturel structurel et de synthèse harmonieuse souveraine, s'ébauche et s'affermit quotidiennement, de jour le jour… dramatiques.
L'auteur est: Auteur-traducteur texte


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