Et puis, on nous informe qu'on avait raté le train, alors qu'on est fauché comme les blés pour pouvoir acheter un autre billet ! Faut-il revenir en arrière ou sauter dans la rame d'un autre train en «resquilleurs», sans rien en poche ? Sans connaître vraiment la destination de la rame ? Sans savoir où l'on allait ni ce qu'on allait faire ? Une aventure à gros risques et peut-être vouée d'avance à l'échec ! Quand on rate le train, on rate son voyage, on gaspille son temps et, en plus, on perd l'argent du billet de la réservation du train ! C'est la cata ! Le maillon essentiel ici, c'est bel et bien le train. D'un coup, on a tout perdu et le train et le temps et l'argent ! Le train dont je parle ici, c'est une métaphore du savoir, le Savoir avec majuscule et en plein milieu de la phrase, quitte à enfreindre toutes les règles de la langue de Molière. Et qui dit savoir, dit la civilisation du lire, de la recherche et de la culture. Mettons maintenant à la place du train qu'on raté le nom Savoir, et on comprendra tout le mal dont on souffre : perte de temps, perte d'argent, perte d'énergie, ignorance de la destination et égarement dans la gare de nos illusions! Une société qui ne lit pas, qui ne recherche pas sur son histoire et qui ne sacralise pas la culture, va à sa perte, à son égarement et au «ghetto du tabou». Le tabou, c'est l'ami intime de l'ignorance, des ténèbres, du noir, de la nuit qui ne se lève plus. Comment peut-on construire un être humain avec l'ignorance ? Comment peut-on éduquer un enfant avec l'ignorance ? Avec le tabou ? Avec le stéréotype ? Comment faire avancer une société qui refuse de lire, d'éduquer, de se cultiver ? Ce serait un miracle comparable au mythe de Sisyphe : allons faire remonter la roche jusqu'au sommet de la montagne ! Pari impossible, irrationnel, déraisonné ! Au lieu de former une société éclairée, animée par la lumière du savoir et tournée vers le sacre de la connaissance et de l'universel, on préfère vivre entre nous, dans la chaleur des tabous, en communauté : la communauté des ratés, des moins que rien, des vaincus qui ne font que critiquer ceux qui veulent travailler, ceux qui veulent innover, ceux qui veulent éclairer, ceux qui veulent avancer, ceux qui veulent «détabouiser» les mentalités calcifiées par «l'ignorance sacrée». On empêche les gens de réussir là où ils survivent et on les fait fuir là où ils espèrent vivre. Vivre, chez nous, est un mot-valise, un mot foutu, un mot sans importance, un mot qu'on ne lâche que pour dénoncer l'injustice faite à nos cœurs en larmes ! Pour dire qu'enfin, on pourrait peut-être vivre. Mais y a-t-il vraiment une vie sans liberté, sans culture, sans savoir ? C'est là que le bât blesse. Le train est parti et on est resté sur le quai à pleurer toutes les larmes du monde pour dire que la faute c'est au chauffeur, à la gare, aux cheminots... Quel triste sort ! Mais la faute est à qui ? A nous, bien sûr, et rien que nous ! On est les seuls responsables d'avoir raté notre train...