Le Parlement a définitivement adopté lundi 23 janvier, après un ultime vote du Sénat, la proposition de loi pénalisant la négation du génocide arménien, suscitant immédiatement le courroux de la Turquie. La presse turque était unanime mardi à dénoncer le vote la veille par le Sénat français d'une proposition de loi pénalisant la négation du génocide arménien sous l'Empire ottoman, accusant la France d'avoir sacrifié la liberté d'opinion à des objectifs politiciens. "Honte à toi, France", titre en une le quotidien populaire Vatan. "La France où est né l'idéal de liberté a porté le coup le plus dur à la liberté d'expression. En votant la loi sur la négation du génocide, elle a renié son propre passé." "Le président français Sarkozy a tourné le dos à la liberté et à la Turquie pour quelques votes", clame le journal populaire Posta. Le journal à grand tirage Hürriyet barre sa une d'un grand "Il a massacré la démocratie", à côté d'une photo du président français. Habituellement opposés, le très laïque Cumhuriyet et l'islamo-conservateur Zaman unissaient leurs voix mardi pour dénoncer respectivement "la justice à la française" et "une honte historique". "Un sujet sur lesquels les historiens doivent trancher est tombé dans l'ombre de la politique", déplore le quotidien libéral Radikal. Le journal pro-gouvernement Yeni Safak s'enflamme contre "les petits calculs électoraux de Sarkozy (qui) ont conduit la France à commettre un grand crime contre l'humanité". Nouvelles sanctions Le ministère turc des Affaires étrangères a "condamné fermement" le vote dénonçant un "acte irresponsable" de la part de la France. "La Turquie n'hésitera pas à rapidement mettre en oeuvre comme bon lui semble les mesures prévues" contre la France, souligne un communiqué, dans une référence à de nouvelles sanctions contre Paris. Pour sa part, le ministre turc de la Justice Sadullah Ergin a qualifié le vote de "manque total de respect" et de "grande injustice" à l'égard de la Turquie. Sur la chaîne d'information CNN Türk, il a qualifié cette loi était "nulle et non avenue". "Si la loi est promulguée par le gouvernement, les conséquences seront permanentes. La France est en train de perdre un partenaire stratégique", a déclaré à le porte-parole de l'ambassade de Turquie à Paris, Engin Solakoglu. Le Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan doit s'adresser aux députés turcs aujourd'hui. L'Arménie a aussitôt exprimé sa satisfaction. Ce vote est une "initiative historique qui contribuera à prévenir d'autres crimes contre l'humanité", a déclaré mardi Edouard Nalbandian, ministre arménien des Affaires étrangères. "Ce jour sera écrit en lettres d'or non seulement dans l'histoire de l'amitié entre les peuples arménien et français, mais également dans les annales de la protection des droits de l'Homme à travers le monde" a précisé le ministre dans un communiqué. Au terme d'un débat de plus de sept heures et alors que plusieurs centaines de manifestants étaient rassemblés pendant tout l'après-midi autour du palais du Luxembourg, les sénateurs ont adopté le texte par 127 voix contre 86. 237 sénateurs (sur 347) ont seulement pris part au vote. Avec ce vote conforme (sans modification) du Sénat, la proposition est définitivement adoptée par le Parlement français. Deux génocides reconnus Déjà adoptée par les députés le 22 décembre, la proposition prévoit un an de prison et 45.000 euros d'amende en cas de contestation ou de minimisation de façon outrancière d'un génocide reconnu par la loi française. Deux génocides, celui des Juifs pendant la Seconde guerre mondiale et celui des Arméniens, sont reconnus, mais seule la négation du premier était pour l'instant punie. Représentant le gouvernement, Patrick Ollier, ministre des relations avec le Parlement, a justifié la proposition de loi de la députée UMP Valérie Boyer par la nécessité pour "notre société (...) de lutter contre le poison négationniste". "Cette proposition de loi participe d'un mouvement généralisé de répression des propos racistes et xénophobes. Elle n'est pas une loi mémorielle", a argué le ministre. Le vote final du texte est intervenu en dépit des critiques émanant de membres éminents du gouvernement comme Alain Juppé (Affaires étrangères) et Bruno Le Maire (Agriculture).La Turquie réfute le terme de génocide, même si elle reconnaît que des massacres ont été commis et que quelque 500.000 Arméniens ont péri en Anatolie entre 1915 et 1917, les Arméniens évoquant quant à eux 1,5 million de morts. Après le vote des députés fin décembre, Ankara avait déjà gelé sa coopération militaire et politique avec Paris. La proposition de loi a profondément divisé les sénateurs, beaucoup plus que les députés, tous partis confondus, même si une majorité a finalement été trouvée en faveur d'un texte défendu par le président Nicolas Sarkozy et bénéficiant du soutien des deux principaux groupes, UMP et PS. A quelques mois d'échéances électorales majeures, l'UMP et le PS ne comptaient pas se passer des voix de la communauté arménienne, la plus importante d'Europe occidentale (environ 600.000 membres).