C'est une vie de misère, de «Hogra», de marginalisation et d'incertitude, que surmonte chaque jour et à chaque instant, «Souad», comme elle préfère se nommer ainsi, pour garder son anonymat. Placée devant le choix de la prostitution et celui de la contrebande, elle a opté pour son honneur. Notre «Souad» est une jeune trentenaire, acculée par la pauvreté et les besoins du quotidien, s'est mise à défier l'interdit, en se lançant dans le trafic et la contrebande. Une activité très lucrative, mais porteuse de risques de toutes sortes, qu'elle a dû affronter pour nourrir sa famille, allant jusqu'à délaisser ainsi sa féminité. Souad, n'est qu'un seul échantillon, pris parmi des milliers et des milliers de personnes, dont un nombre non négligeable de femmes habitant le long de la région frontalière et qui ont été amenées par les contraintes qui leur ont été infligées par la société, à choisir entre deux maux: celui de vendre leur corps et leur honneur et sombrer ainsi dans l'univers de la débauche, ou d'emprunter une autre voie, celle de la contrebande tous azimuts et préserver son image maternelle aux yeux des siens. Dans cette optique, la Voix de l'Oranie l'a contactée, pour mettre la lumière sur cette frange de notre société, dont Souad a bien voulu nous ouvrir les portes, à commencer par celle de sa demeure située dans l'un quartiers de la commune de Nedroma, et ce, après de longues tractations visant à lui garantir sa contribution sous le couvert de l'anonymat. Notre interlocutrice nous racontera son histoire et ses débuts dans la contrebande qui était jusque-là une activité réservée aux hommes uniquement, vu qu'elle nécessitait de la force, une solidité à toute épreuve et surtout de l'audace. Souad se dit «une femme ordinaire, comme toutes les autres, mais mon destin m'a placée entre les «griffes» d'un mari odieux et «Haggar»». En somme, un époux qui ne la méritait pas, à ses dires. Il faut dire qu'elle n'a pas eu le temps de réaliser, ce qui lui est arrivé en pleine adolescence, puisqu'elle s'est retrouvée mariée dès l'âge de 16 ans, alors qu'elle rêvait encore à un avenir de contes de fée et bâtissait ses rêves sur un foyer paisible, avec un mari aimant et des enfants affectueux. Des enfants, elle en a eu trois, mais fruits d'un mariage ô combien perturbé.» A ce propos, Souad nous dira: «Mon mari qui s'ingéniait à m'empoisonner l'existence, était ma plus grande source de chagrins et de problèmes. Alliant le vice de l'alcoolisme à celui de la toxicomanie, il refusait de travailler et me tabassait très souvent, pour une raison ou pour une autre.» Et de poursuivre: «Après quatre ans de mariage et d'amertume, durant lesquels je n'ai eu aucun moment de bonheur, j'ai dû le quitter, bien que je ne sois pas encore divorcée, aux yeux de l'état civil. J'ai donc été obligée de me trouver du travail pour nourrir mes enfants. C'est ainsi que j'ai commencé par un emploi dans un atelier de couture. Un travail de forçat, à raison de 10 heures de travail par jour, au bout desquelles je rentrai fourbue à la maison et cela, pour un salaire minable. C'est là que j'ai appris les règles de la contrebande, grâce à «Khalti Sakina», qui veillait sur les ouvrières de l'atelier où je travaillai et qui m'a appris avec le temps, que ce dernier était en fait une couverture d'une autre activité bien plus lucrative, notamment celle des produits introduits du Maroc et qui envahissent nos marchés de consommation. Cette activité a transformé les zones rurales, situées sur la bande frontalière algéro-marocaine, en un pôle d'attraction pour les milieux interlopes de la contrebande tous azimuts, allant des vêtements traditionnels pour femmes, notamment la Djellaba marocaine, aux objets artisanaux, tels que les bijoux et la vaisselle en porcelaine, en passant par les produits cosmétiques voire même des médicaments et autres herbes médicinales.» Souad ajoutera que son activité se limitait au départ à la revente de certaines marchandises, qu'elle distribuait aux femmes au foyer, la plus grande marge de sa clientèle, surtout les clientes aisées. Après quoi, elle formera avec ces collègues de travail, «un groupe très bien organisé, où chacun avait un rôle à jouer, comme dans une ruche d'abeilles, chacune d'entre elles s'occupant d'un marché différent, tout le long de la région des frontières», a-t-elle ajouté. Son habileté, sa jeunesse et surtout son intelligence l'amèneront à un autre genre de trafic. Comme elle se rendait souvent au Souk d'El-Zouïa, situé dans la commune frontalière de Béni-Bousaïd, Souad s'est chargée de faire passer d'autres marchandises à partir de la frontière vers la ville d'Oran. «C'est comme ça que j'ai pu améliorer ma situation financière. On se mettait d'accord sur la prime, que je percevrai en échange de la livraison en bonnes mains de cette marchandise et ma mission s'arrêtait juste après avoir transmis le relais à la personne destinataire. Ceci, tout en étant obligée de garder le secret quel qu'il soit et de prétendre, en cas de perquisition ou d'un éventuel interrogatoire des services de sécurité ou de la douane: «Cette marchandise m'appartient et je l'ai achetée à la frontière, pour la revendre à Oran. Je ne devais en aucun cas citer le nom de l'intermédiaire, faute de quoi je subirai la plus cruelle des vengeances», a-t-elle souligné. Nous l'avons interrogée sur le secret qui réside dans le choix des femmes, capables d'accomplir une telle mission: «Il y a un bon nombre de femmes divorcées et même mariées, qui ont été chargées de convoyer ces marchandises, à bord de taxis, vers les marchés d'Oran, de Sidi Bel-Abbès, de Aïn Témouchent et bien d'autres villes de l'Ouest. Ce choix remonte au fait que les femmes ne font pas l'objet de suspicion, comme c'est le cas des hommes. Cette activité ne se réduisait plus qu'à la gent masculine, mais les difficultés de la vie ont imposé aux deux sexes d'adopter de nouveaux comportements, en passant d'une société patriarcale conservatrice, guidée par les principes et les valeurs, vers une autre plus moderne et bravant tous les interdits. Chose qui poussera la femme à prendre un autre chemin que celui qui lui était réservé à sa naissance. Nous sommes les victimes des pressions et des conditions difficiles de la vie, car si nous avions à choisir, nous aurions pu emprunter une autre voie. Celle d'une vie digne et bien tracée, pour garantir la nourriture et la scolarisation de nos enfants, au lieu de vivre un cauchemar, duquel Dieu seul sait quand est-ce qu'il prendra fin, pour nous réveiller dans un monde meilleur», a conclu notre interlocutrice.