Les quelques rares films, en majorité censurés, sur la répression sanglante du 17 octobre 1961 à Paris, n'ont pu sensibiliser le grand public français du fait d'une chape plombée sur les horreurs de ce crime contre l'humanité commis à l'encontre d'Algériens qui manifestaient pacifiquement pour la libération de leur pays de l'occupation coloniale. Parmi ces produits, le film-documentaire intitulé "Une journée portée disparue" des cinéastes australiens Philip Brooks et Alan Hayling est un recueil de témoignages croisés de victimes algériennes, témoins et militants dont Ali Haroun et Omar Boudaoud de la Fédération de France du FLN. Les témoignages sont soutenus par des photographies dont celles d'Elie Kagan, photographe français témoin de la répression sanglante survenue près de 6 mois avant la signature des accords d'Evian. Les témoignages dont ceux d'officiels français, gardiens de la paix, policiers, infirmiers, qui ont assisté à la répression sanglante, ont été mis en scène dans les lieux mêmes où se sont déroulés ces crimes. Nombre de témoignages, particulièrement celui du gardien de la paix Georges Moulinet, rappellent la participation directe de milices de harkis au massacre des milliers d'Algériens qui manifestaient pacifiquement et sans arme. Octobre sur Seine, "un monstre sombre et silencieux" Parmi les images poignantes, outre celles montrant des Algériens ensanglantés ou allongés morts sur les quais de la Seine, la caméra se focalise sur celle qui montre un pêcheur regardant flotter devant lui les corps sans âme d'Algériens matraqués à sang avant d'être jetés dans le fleuve. Parmi eux, la jeune Fatima Bedar, 15 ans, jetée morte cette nuit-là dans la Seine. Selon une critique cinématographique du documentaire de Philip Brooks, "l'image nocturne de la Seine, apparemment innocente, anticipe sur les témoignages qui vont suivre. Opaque, elle renvoie à l'idée du mensonge d'Etat, d'occultation des victimes et revêt, après-coup, une qualité mortifère", comme elle renvoie à la symbolique d'un "monstre sombre et silencieux, renfermant dans le secret de son eau trouble un événement coupable qu'elle ne veut pas voir ressurgir". "Une journée portée disparue", c'est ainsi contre l'occultation d'un crime colonial que le film de Philip Brooks s'inscrit, en relançant de rares archives réalisées par ceux qui, témoins du drame, avaient tenté de briser le silence. Le 17 octobre même, les quelques images de télévision qui existent sont dues à des télévisions non françaises. Le film de Philip Brooks montre que ceux qui tentent malgré tout de prendre des photos voient leur matériel détruit. Les saisissantes photos prises par Elie Kagan durent l'être clandestinement, notamment à la station métro Concorde où il aperçoit des dizaines de morts. Lors du tournage, le réalisateur avait fait appel à l'historien Jean Luc Einaudi, auteur du livre "La bataille de Paris" qui relate, dans le détail, cette page des plus sombres de la colonisation. Philip Brooks, en quête de fonds pour ce film-documentaire, avait essuyé le refus des financiers, et c'est une chaîne anglaise, Channel Four, qui a accepté de le produire. La censure sur ces crimes commis par la police de la 5e République française, sur ordre du préfet Maurice Papon, a également frappé le film du biologiste Jacques Panijel, "Octobre à Paris", qui reconstitue la manifestation à partir des photos de Kagan et de témoignages d'Algériens. Ce film a été saisi par la police dès sa première projection, en octobre 1962. Dans la nouvelle revue "Partisans", l'écrivain François Maspéro reproche à Panijel de finir "Octobre à Paris" sur les huit morts de Charonne qui se réfère à la charge policière contre les manifestants anti-OAS du 8 février 1962. Ce reproche est lié à la différence de traitement entre les deux événements, celui de Charonne, estime-t-il, ayant occulté celui du 17 octobre 1961 et "tous les efforts faits pour en connaître l'étendue". Le 17 octobre, un chaînon dans le drame de la colonisation Force est aussi de citer le film "Nuit Noire" du cinéaste Alain Tasma, qui tente de retracer la trame de ce haut fait d'histoire contemporaine, avec des personnages fictifs dont une journaliste, Sabine (Clotilde Courau), une militante contre le colonialisme, porteuse de valises, Nathalie (Florence Thomassin), un ouvrier, Tarek (Athmane Khelif), son neveu Abde (Ouassini Embarek), un moudjahid de la Fédération FLN de France, Ali Saïd (Abdelhafid Metalsi), entre autres témoins de ces massacres différemment interprétés qui voient leurs destins se croiser dans le carousel du débat contradictoire. Ce long-métrage, qui était à l'origine un téléfilm produit par la chaîne de télévision Canal+, a reçu le Grand Prix du scénario au Festival international des programmes audiovisuels (FIPA) de 2005 à Biarritz et a été en sélection de plusieurs festivals étrangers tels que ceux de Toronto, Montréal, Dubaï, San Francisco, New York... Des centaines d'ouvrages, de documents filmés, de chroniques d'associations, sans oublier les ouvrages des historiens, ou celui des collectifs d'intellectuels tel que celui dirigé par Olivier Le Cour Grandmaison, ont contribué à la reconstitution de cet événement tragique dont la mémoire, selon les historiens, "participe d'un mouvement plus général" regroupant bien d'autres faits dramatiques liées à la colonisation qui devrait devenir "une question centrale" pour l'opinion publique française d'aujourd'hui.