A gauche de l'entrée du marché mythique Al Hammadia est collé un gigantesque poster du président Bashar Al Assad tout souriant et levant sa main droite comme pour saluer la foule en mouvement. Sur le poster est écrit en gros caractères en arabe et en anglais « Je crois en la Syrie ». De tels posters à l'image du président se trouvent partout à Damas. Ceux de son père aussi. « Comme ça, au moins, les Syriens ne risquent pas d'oublier qui est leur président », ironise un chaland. Ayant hérité le pouvoir de son père, le jeune Al Assad règne sur le pays de main ferme. Sans changer la situation politique. « Le régime est le même. Tel père tel fils. Les Syriens, comme moi d'ailleurs, ont peur de parler », lâche un cadre dans une compagnie étrangère, refusant de divulguer son identité. Dans les lieux publics, on parle rarement de questions politiques. Même lorsqu'on dit du bien du pouvoir en place. Les gens ont la trouille et préfèrent s'exprimer en toute liberté sur la toile. « S'ils se taisent, cela ne veut nullement dire qu'ils sont sans avis sur ce qui se passe dans le pays ou ailleurs », dit un étranger spécialiste des télécommunications qui vit à Damas depuis une quinzaine d'années. Il y a, estime-t-il, des coins où la jeunesse damascène délie sa langue pour dire, cracher sa colère. Parmi ces lieux, les cybercafés. « Il y a des forums de discussions et des blogs ouverts par deux jeunes syriens qui cherchent à vivre autrement. J'ai beaucoup d'amis sur le net avec lesquels j'échange les idées sur tout et rien », dit Wassim Sahar, rencontré dans un cybercafé sur la rue Al Bahsa, au centre-ville. Comme lui, il y en a beaucoup. Ayant décroché une licence d'anglais, Wassim rêve de poursuivre ses études en Europe. Plus précisément à Londres. « Il n'y a plus d'avenir ici. Le chômage augmente et la chance d'être embauché devient de plus en plus maigre », lâche-t-il avec désolation. Il est pourtant convaincu que la Syrie est riche. « Le pays a beaucoup de ressources financières. Mais 80% de cet argent va à l'armée. C'est énorme. Il ne faut pas oublier aussi que nous soutenons plusieurs mouvements de résistance dans la région, le Hamas palestinien, le Hezbollah ainsi que nos frères de la résistance en Irak », souligne-t-il. Wassim ne croit pas en l'unité arabe. « Les Libanais nous accusent à tort, comme les Saoudiens d'ailleurs, qui ont coupé les relations diplomatiques avec nous parce que nous soutenons la résistance libanaise contre Israël », regrette-t-il. Attablés dans un café-trottoir au quartier Bab Touma, Fatah Aboud et Abu Azel, ayant suivi des études en histoire à l'université, ne mâchent pas leurs mots : « Chaque fois qu'il se passe quelque chose au Liban, on accuse la Syrie. C'est facile, et ça conforte tout le monde dans ses préjugés : Israël et les Etats-Unis. » Adnan, jeune commerçant originaire d'Alep, adore le Liban, où il se rend souvent. Il dit être content que son pays ait rétabli les relations diplomatiques. Cela ne l'empêche pas d'être critique envers la classe politique libanaise.« ça saute aux yeux, la société libanaise est malade, malade des privilèges de certains, des rancœurs des autres. Elle est complètement divisée et à la merci des chefs de clan, qui ne pensent qu'à leur ambition personnelle et à leur clientèle », relève-t-il, lui qui trouve anormal qu'on ne parle que des assassinats qui concernent des personnalités libanaises qui se montrent critiques envers la Syrie. « Et tous ces assassinats de personnalités qui aiment la Syrie, qui les a faits alors ? » s'interroge-t-il. Bouchra, étudiante en littérature arabe, est offusquée. Pour elle, il ne fait pas l'ombre d'un doute que « la Syrie en tant que nation n'avait rien à voir là-dedans, que c'est une affaire libano-libanaise, avec les grandes puissances qui attisent le feu en arrière-plan ». Bouchra, Adnan ou d'autres syriens refusent la normalisation avec Israël. « Tant que cette puissance coloniale soutenue par les Etats-Unis ne quitte pas les territoires palestiniens et ne libère pas le Golan, je ne vois pas pourquoi établir des relations avec elle », soutient Bouchra qui se demande si Al Mossad n'est pas derrière l'assassinat du général Mohamed Souleymane, conseiller spécial du président Bashar Al Assad, chargé du dossier du Hezbollah. Elle regrette cependant l'absence de liberté de ton en Syrie. « Les gouvernants feront mieux de laisser les gens s'exprimer, car les Syriens sont mûrs politiquement et savent où se trouvent leurs intérêts et connaissent leurs ennemis », défend-elle, elle qui dit avoir cru au Printemps de Damas, une initiative d'ouverture politique qui avait suivi la mort du président Hafez El Assad. Mais le parti du Baas a réussi à faire avorter ce projet. Saâd Abulhad, qui travaille dans le secteur touristique, croit, lui aussi, au changement pacifique dans le pays : « Ça ne peut pas continuer comme ça. Il faut une révolution pacifique à laquelle devraient participer tous les Syriens. Si l'on instaure la démocratie, on protégera le pays contre les agressions étrangères ».