Jean-Claude Chermann, chercheur français en virologie, faisait partie de l'équipe de Luc Montagnier à l'Institut Pasteur, qui a découvert en 1983 le virus du sida . En marge des travaux du Salon professionnel des pharmaciens d'Afrique (Dawafric) qui s'est tenu du 31 octobre au 1er novembre à Casablanca, le Pr Jean-Claude Chermann, invité officiel de l'association Avicenne Aujourd'hui qui a pris part à cette rencontre, a présenté une conférence sur ses dernières recherches sur le sida. Les travaux menés actuellement dans son unité privée à Inserm à Marseille, à Luminy, sont, selon lui, très prometteurs. Dans une interview accordée à El Watan, l'oublié du prix Nobel est revenu sur ses dernières recherches, sa réaction à l'annonce du prix Nobel. Quelle a été votre réaction à l'annonce du prix Nobel de médecine ? Surpris et choqué d'être oublié. Je suis le codécouvreur du virus du sida, j'ai été nominé mais pas nommé. Je suis le rétrovirologue, tout s'est passé dans mon laboratoire. Mon nom figure sur l'article fondateur de la découverte du virus, je suis cité dans tous les brevets comme codécouvreur. La seule satisfaction pour moi aujourd'hui, c'est que cela prouve bien que la découverte du virus du sida est française. Ma satisfaction est celle aussi de voir autant de personnalités exprimer leur solidarité à travers la création d'un comité de soutien. C'est un grand réconfort. Je suis peut être oublié, mais considéré comme un nobel. Je pense que je n'ai pas à rougir. Maintenant, il faut dire que la science change, et chaque année il y aura des oubliés comme moi, si on ne change pas la règle des trois, quatre et cinq du comité Nobel. Je dois dire aussi que c'est un prix Nobel français, c'est un prix Nobel de l'Institut Pasteur où j'ai passé 25 ans de ma vie. Je suis pasteurien, c'est quelque chose qui a atténué ma peine. Comment expliquez-vous cette non-récompense ? Je pense qu'un lobbying s'est constitué autour de Luc Montagnier. Ensuite, comme le jury du prix Nobel a voulu associer sida et papillomavirus, pour une raison que je ne m'explique vraiment pas, il ne restait qu'une place pour Françoise Barré-Sinoussi et moi. Selon le comité de soutien, mon nom serait porté sur des programmes exceptionnels pour un éventuel prix. Il est temps de faire évoluer le testament d'Alfred Nobel datant de 1895. Votre rencontre avec le président Sarkozy a-t-elle atténué en vous cette injustice ? J'ai aujourd'hui ce qui s'appelle la reconnaissance pour mon travail par la République française. C'est très rare qu'un président de la République fasse ce genre de déclaration. La deuxième chose que le président Sarkosy voulait faire était comment réparer cette injustice ? Je lui ai dit que c'était impossible d'autant que le comité Nobel ne se déjuge jamais. Le fait que le président s'adresse à son conseiller en lui disant préparer quelque chose pour une réparation est une chose très réconfortante. J'ai exposé à Monsieur le président les travaux que je suis en train de faire, que je suis en train de développer dans une société que j'ai créée moi-même. J'aurai peut être des financements pour mes travaux. Je crois qu'il est important que le président de la République, au nom de la France, reconnaisse mon association à la découverte du virus du sida. Cette entrevue a été quelque chose de très réconfortant. L'idée du comité de soutien d'organiser quelque chose à l'Institut Pateur pour qu'il y ait une reconnaissance est d'après le président de la République une bonne chose. Où en êtes-vous dans la recherche sur le sida ? Dans mon laboratoire, l'Unité de recherche rétrovirus et maladies associées (Urrma), je suis en train de travailler sur la préparation d'un anticorps thérapeutique pour les malades du sida en échec de traitement. Je reste « pasteurien » dans l'âme, je fais de la recherche médicale directement applicable à la santé humaine. Nous travaillons sur des sérums et des cellules de patients infectés par le VIH et dont les défenses immunitaires restaient stables. Je me suis ainsi aperçu que ceux chez qui le virus ne faisait pas de ravages, même au bout de dix ans, avaient développé des anticorps protecteurs. Aujourd'hui, on peut différencier les patients qui nécessitent un traitement immédiat des autres. Il y a ainsi une possibilité de développer un vaccin, parce que qui dit anticorps, dit production d'antigènes. Nous sommes en train de préparer deux vaccins pour traiter les malades qui sont en échec avec l'anticorps protecteur et un vaccin thérapeutique quand leurs défenses immunitaires vont remonter. Il est aussi question d'un vaccin prophylactique. Quand pensez-vous mettre au point les résultats de vos recherches ? Tout est lié aux moyens financiers. Sinon, on ne peut rien annoncer avant les cinq années prochaines.