Juste après l'acte sacrificiel qui caractérise la fête de l'Aïd El Kebir, je tenais à faire une virée dans les parages de notre cité quasi déserte, histoire de me dégourdir les jambes. La sunna du Prophète, Sidna Ibrahim El Khalil, venait d'être accomplie. Le bêlement qui participait au brouhaha de la ville avant le rituel s'était tu et les rémouleurs de circonstance avaient, après l'exercice d'affûtage des lames, rangé leurs meules. Place à un autre décor qui, à n'en point douter, a mis à rude contribution les agents de Netcom. On aurait pu quand même rendre la tâche à ces derniers moins dure, si au moins on avait pris le soin de débarrasser le macadam des restes de nos « kbech » jonchant les caniveaux, réceptacles des mares sanguinolentes. Je dévalais l'ex-rue Randon et je repérais un groupe de touristes flanqués de vigiles, munis de leur vidéo, zoomant la mélasse que formaient les crottins, cornes et foin semés à tout vent. Cela suscitait en moi un pincement au cœur de voir des séquences générées par notre conduite incivique captées par des étrangers en guise de… souvenirs. Je voulais défendre la cause de ce comportement rurbain. Je voulais justifier le geste de mes concitoyens à ces « filmeurs » qui fourraient leur nez là où il ne faut pas. Je grinçais des dents pour leur démontrer que ce qu'ils pensent est faux. Que l'insalubrité ramassée dans leur zoom n'est pas publique et l'offrande faite au Tout-Puissant n'est guère tenue d'obéir à l'écogeste. Sauf que j'étais en très mauvaise posture pour leur faire avaler que ce qu'ils constatent ne traduit pas ce qu'ils observent. Mais, à dire vrai, j'étais à court d'argument pour les flouer et leur expliquer tout cela. A fortiori lorsque je reçus une giclée de sang d'une canalisation éventrée. J'avais peine à ravaler ma colère. Sans faire du foin, je me réduisais à poursuivre mon bonhomme de chemin en pensant à la charge de travail qu'on pouvait épargner aux agents de Netcom, ces « naqayyîne » nommés à tort « zeballine ». N'est-ce pas là une cité qu'on a réussi à rurbaniser ? En clair, un décor qui n'interpelle pas moins les pouvoirs publics à réfléchir sur la question, celle liée à la mise en place d'espaces aménagés à cet effet. A nos architectes aussi d'intégrer dans les plans d'immeuble des endroits consacrés à l'accomplissement de ce rituel millénaire.