– Les étudiants algériens rêvent de poursuivre leurs études à l'étranger. Quel regard portez-vous sur ce phénomène ? Etant enseignant à l'université Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou, en contact avec les étudiants dans l'encadrement (mémoires et thèses) et les cours magistraux, je pense que quand l'étudiant opte pour un parcours de formation de son choix, il se fixe deux objectifs. Le premier est d'aller dans le parachèvement de son parcours (licence, master) et songer à une carrière professionnelle adaptée à son profil. Le deuxième objectif est que la tendance générale est d'aller continuer ses études à l'étranger dans un pays comme la France pour des considérations socioculturelles. Ce deuxième objectif est un phénomène récurrent depuis très longtemps. C'est ce qu'on appelle aussi la fuite des cerveaux, mais à mon avis ce n'est pas une fuite des cerveaux, mais une forme d'émigration du fait que si l'on fait un sondage, on retrouve que la majorité des étudiants ayant obtenu un visa d'études ne continuent pas leurs études et se retrouvent dans d'autres activités dévalorisantes pour subvenir à leurs besoins. – Quels en sont les causes, selon-vous ? A priori, il faut dire qu'eu égard aux évolutions connues dans le cadre de la mondialisation via la mobilité des capitaux et des personnes, nous constatons que la mobilité du capital humain concerne seulement les personnes ayant un potentiel intellectuel à exploiter par les pays d'accueil. De ce fait, nous sommes dans une dynamique d'attractivité des ressources humaines. L'investissement direct étranger, aujourd'hui, ne concerne pas la délocalisation des entreprises et du savoir-faire seulement, mais elle est liée à sa capacité à attirer les compétences requises pour développer les économies des pays développés. Nous sommes dans une vision de compétitivité axée sur le management international des ressources humaines. Cette nouvelle donne, bien entendu, attire l'attention des jeunes diplômés en quête d'un mieux-être du fait que les conditions matérielles à elles seules ne peuvent pas constituer un motif pour décider de s'installer dans un autre pays en tant qu'émigré. En Algérie, cela est lié à l'inadéquation de la formation avec les besoins du marché du travail. Les entreprises et le monde institutionnel ne sont pas à l'écoute de ces diplômés. Ceci est dû à l'absence de passerelles entre l'université et l'environnement économique et institutionnel. C'est ce qui pousse, par la suite, les diplômés à trouver d'autres issues échappatoires à l'effet de réussir leur parcours professionnellement et académiquement. Il y a un autre problème lié à la culture entrepreneuriale chez les jeunes universitaires, et à la précarité. Les dispositifs d'emploi ont intégré cette dimension à l'effet de booster les diplômés et les étudiants en cursus à mûrir des projets de création d'entreprises innovantes dans un contexte où il y a beaucoup d'opportunités. Les études faites dans le cadre de la recherche universitaire montrent un faible taux d'entreprises créées par les jeunes universitaires. Les dispositifs d'insertion professionnelle initiés par les pouvoirs publics semblent être inefficaces et inadaptés aux jeunes diplômés en raison de leur caractère conjoncturel (CDD, DAIP) et précaire, dont les conditions de travail et les relations de travail sont déplorables, ce qui pousse les jeunes à trouver d'autres alternatives via leurs acquis, à s'installer dans un pays qui leur offre les meilleures conditions pour un mieux, soit via l'émigration sélective ou bien via les études qui constituent pour la majorité un moyen leur permettant de quitter leur pays d'origine. – Que préconisez-vous pour réduire cet exode ? J'ai remarqué que les étudiants en première année universitaire intègrent l'option de partir étudier à l'étranger comme une option prioritaire dans l'offre existante dans le parcours de formation. C'est un échantillon qui peut être représentatif. Mon inquiétude se situe à ce niveau. Il faut arrêter cette hémorragie. Il faut une véritable politique publique dédiée au maintien des compétences formées localement et plus particulièrement à la valorisation des élites en créant des pôles de formation d'excellence en relation directe avec le monde du travail. L'Algérie offre aux pays étrangers, à titre gracieux, des compétences formées dont le coût est très élevé. Notre pays doit cesser d'être le pourvoyeur des pays étrangers en compétences.