L'auteur Djilali Khellas, qui n'est plus à présenter, publie un livre visionnaire. le Temps des corbeaux chez les éditions Casbah. Un roman certes fictif, mais qui extrapole, qui anticipe. La fin de l'ère du pétrole. Celle de la manne pétrolière et gazière dans le monde arabe et ses conséquences. Un sujet vital. Il y va de l'avenir des pays arabes. Et puis, il y a ce retour des dictateurs «mutants» qui se fossilisent. Djilali Khellas a imaginé un pays fictif, «Bercassa», érigé au milieu de nulle part. Sa capitale s'appelle «Bercoussa». Une consonance, un clin d'œil à la «République couscoussière, bananière» qui rime avec «berkoukes», ce plat traditionnel. «C'est la ‘‘République de berkoukes''. Ce n'est même pas le couscous, qui est noble. C'est du réalisme merveilleux, cet Etat fictif...», ironisera Djilali Khellas. Une caricature de cette consommation dévorante, intestine et intestinale, ventrale, viscérale et surtout boulimique. Des nourritures «extra-terrestres» pavloviennes et différentes de celles d'André Gide. Des protagonistes, des personnages, des héros... Selon le schéma, la trame de Vladimir Propp. Des adjuvants, des opposants, des équilibres et déséquilibres. Pas de «happy end», mais des happenings. «Game of Thrones» Le pitch de le Temps des cordeaux ? C'est une épopée d'anticipation qui relate «la guerre civile de Bercassa», un pays pétrolier qui était jusqu'à 2050 prospère et puissant, mais ses ressources fossiles se sont taries, d'année en année, jusqu'à étrangler son économie et déstabiliser son équilibre politico-social en 2070. Cette année-là, la production de pétrole a atteint 200 000 barils par jour, une quantité qui ne peut même pas suffire à alimenter la consommation locale, de plus en plus grandissante dans un pays importateur, sans ressources agricoles et sans base industrielle. Bercassa est en faillite totale, mais Abdeslem Belkrouche fait amender par son Parlement la Constitution qui limitait à deux les mandats présidentiels. Il voulait rester au pouvoir. C'est l'implosion, les émeutes et la colère populaire destructrice. Bercassa est en feu, quand «Le Mouvement du pain», un parti non agréé, très populaire, déclare la guerre à Abdeslem Belkrouche et son régime corrompu. Tayeb Ameur, l'un des fondateurs du «Mouvements du pain» a beau écrire et essayer de raisonner ses collègues adeptes de la guerre, comme seul moyen de faire tomber le régime de Belkrouche, mais ses appels sont restés vains, même Salem Hawati, son fils adoptif, a rejoint le mouvement insurrectionnel. «Les ingrédients de la recette du pain perdu» En 2072, Fausto Salim Ameur, un Bercassi-Italo-Américain, débarque en compagnie de Mouloud le «Bercassi», sur la plage de Tiga. Fausto, qui veut retrouver son père Tayeb, est déjà un savant chimiste connu et respecté dans le monde entier. Il a inventé plusieurs procédés pour dépolluer les eaux des mers et des fleuves contaminés par le pétrole et autres produits polluants. Après des péripéties, parfois terribles, Fausto et Mouloud réussissent à rejoindre les rebelles du «Mouvement du pain». Ils sont bien accueillis par Ammi Ali Essoukardji et Ch'Boubi, deux leaders connus et appréciés par les insurgés. «Et les dictateurs vont rester» Fils de Tayeb Ameur, l'idéologue du «Mouvement du pain», Fausto sera bien traité par les chefs des rebelles, notamment Ammi Ali Essoukardji. D'ailleurs c'est ce dernier qui captera plus tard «la précieuse information» diffusée sur Radio-France-Internationale (RFI): «Fausto Salim Ameur a eu le plus grand prix de chimie de 2072 !» Pour les rebelles, l'automne de cette année-là est la saison de la chance et de «la grande victoire». Comment ne pas jubiler quand on a entre les mains «un savant italo-américain» ? Et le tournant de «la guerre de Bercassa» se précise : le compte à rebours a commencé pour Abdeslem Belkrouche. Après de longues négociations, les rebelles libèrent Fausto, en contrepartie d'une conséquente «aide» des USA et de l'Union européenne. C'est l'occasion que l'OTAN saisit. Ses forces ne tarderont pas à intervenir dans le conflit bercassi… A propos de son roman, Djillali Khellas, détaillera l'écriture d'un ouvrage conçu par intermittence: «Le livre le Temps des corbeaux, j'ai commencé à l'écrire en français. Il y a dix ans. C'est-à-dire en 2018. J'avais une idée. Celle d'écrire sur la fin du pétrole dans le monde arabe. D'où la question : Qu'est-ce qui va se passer dans le monde arabe ?» J'ai écrit une cinquantaine de pages... J'ai été fasciné par le «printemps arabe». Et il y eut cette révolte contre les dictateurs dans le monde arabe. Ce n'est pas une révolution. A ce moment-là, j'ai arrêté d'écrire. Marquons une pause. «Qu'est-ce qui va se passer ?» «Où va mener cette révolte ?» Et pour moi, cela a été une déception. J'ai repris mon roman en 2012, pour écrire toujours mon idée essentielle. J'ai découvert que le «printemps arabe» n'est et ne sera pas la véritable révolution dans le monde arabe. «Ce n'est qu'une petite révolte éphémère. Et les dictateurs vont rester (au pouvoir)». Donc, même les gens qui vont prendre le pouvoir après, les supplanter, seraient d'autres dictateurs. De nouveaux tyrans. Et c'est ce qui s'est passé. «Syrie, Bachar El Assad est toujours là, même en Tunisie où on a ramené Béji Caïd Essebsi qui était le deuxième homme fort après Bourguiba. C'était le président de l'Assemblée tunisienne. Le président du Parlement de Bourguiba. C'est-à-dire qu'on a repris la politique de Bourguiba, un dictateur. On a sollicité quelqu'un qui est passé par tous les rouages corrompus, policiers de l'Etat tunisien. Et on a voté pour lui. Donc, on a repris l'ancien régime. C'est la Tunisie qui a ‘‘réussi'' selon l'Occident. Le peuple tunisien est toujours malheureux, le chômage, aucune économie...» Un roman au style digeste, fluide et clairvoyant, à lire absolument, peut être utopique, mais d'anticipation contre les régimes pantagruéliques, voraces et avides. La prédation sans fin.
Zaman El Ghorban ( le Temps des corbeaux) Djilali Khellas Roman. Editions Casbah (juin 2018) 262 pages Prix : 850 DA