– Noureddine Benissad : «Nous avons régressé» «Les ingrédients d'Octobre 1988 sont toujours présents. A mon avis, les causes qui ont mené à Octobre 1988 persistent toujours et une explosion sociale n'est pas à écarter. Quelle que soit la polémique soulevée lors de ces événements quant à la manipulation des manifestants, il y avait une colère populaire et le marasme était réel. La population s'est élevée contre le rejet du système. Certes, les événements d'Octobre ont engendré la mort de centaines de jeunes, c'était une tragédie, mais en contrepartie il y avait des perspectives d'ouverture politique : il y avait de l'espoir. On avait commencé par ouvrir une fenêtre sur le plan des libertés, le multipartisme, l'activité syndicale… En comparaison avec Octobre 2018, il est malheureux de dire que nous avons régressé, nous avons reculé d'un pas de géant. Le système actuel refuse l'alternance, aucune visibilité et aucune perspective pour les jeunes, que ce soit sur le plan politique ou économique. J'ai l'impression que nous sommes dans une société bloquée. Les prémices d'Octobre 1988 sont là, et naturellement les mêmes causes amènent les mêmes résultats. Lorsqu'il y a le chômage, l'absence d'accès aux soins, la corruption, la dilapidation des deniers publics, la hogra, l'injustice sociale, la justice à deux vitesses…, il faut s'attendre au pire, quand le pouvoir ferme les canaux de la négociation, lorsqu'il refuse de recevoir les syndicats et décide de bloquer les associations, de museler la presse et d'interdire les réunions. En 2018, en interdisant l'expression pacifique, les citoyens vont tôt ou tard s'exprimer par la violence.» – Mokrane Ait Larbi : «Nous sommes dans l'arbitraire» «Le 5 Octobre 1988 c'est l'espoir perdu. Il y avait une ouverture entre février 1989 et décembre 1991. A cette époque, il y avait, il faut le dire, des espaces de liberté, les citoyens pouvaient manifester dans la rue, les marches étaient tolérées, il y avait une presse privée, même s'il n'y avait pas de journaux indépendants, il y avait des émissions intéressantes sur les chaînes publiques, la justice a commencé à avoir son indépendance, dès lors que le procureur dirige l'action publique. Aujourd'hui, en 2018, malheureusement, le pouvoir a récupéré ce qu'il a lâché en 1988. Nous sommes dans l'arbitraire.» – Mustapha Bouchachi : «Le pouvoir a détourné l'octobre des espoirs» «Si l'on compare octobre 2018 à Octobre 1988, je dirais que nous avons beaucoup régressé. L'Algérie a eu son Printemps arabe en 1988 avant tous les pays du tiers-monde. Mais il est regrettable de constater qu'aujourd'hui il ne reste plus rien du peu d'acquis arrachés en cette période-là. Le pouvoir refuse aux Algériens de participer à l'instauration d'une démocratie, comme il s'oppose à une autodétermination interne pour les Algériens. Le pouvoir a détourné ce printemps des espoirs et le résultat est là. Il y a une volonté d'empêcher les Algériens de se gouverner eux-mêmes. Je reste persuadé que le pouvoir a toujours tenté, même durant les années 1990, par tous les moyens de se maintenir en place pas pour sauver la République, mais pour servir ses intérêts.» – Miloud Brahimi : «La révolte d'une jeunesse qui n'en pouvait plus» «Octobre 1988 a été, contrairement à ce qui a été dit, la révolte d'une jeunesse qui n'en pouvait plus. Octobre 1988 était une promesse énorme pour l'avenir du pays. Une promesse qui n'a malheureusement pas été tenue. Qu'est-ce qui reste d'Octobre 1988 ? D'abord cet événement a été suivi par la décennie rouge, qui a annihilé une bonne partie des promesses, car la démocratie tant réclamée n'a pas vu le jour. Oui, la promesse de démocratisation a débouché sur la décennie noire, et par la suite, la néantisation du pouvoir. Nous continuons aujourd'hui à vivre sous l'effet des conséquences de la tragédie nationale et d'Octobre 1988 avec ses promesses non tenues.» – Boudjema Ghechir : «Octobre 1988 était aussi une tragédie» «Les jeunes Algériens se sont révoltés ce 5 Octobre 1988 pour réclamer leurs droits, ils voulaient une justice indépendante et, surtout, juste une liberté d'expression, l'alternance au pouvoir. Octobre 1988 c'était aussi une tragédie au regard des centaines de jeunes qui ont laissé leur vie pour une Algérie démocrate. Qu'en est-il des acquis arrachés ? Fort est de constater qu'aujourd'hui c'est le retour à la case départ. Nous avons reculé et les promesses faites en 1988 n'ont pas été tenues par un pouvoir qui brandit la matraque et réprime toute voix contestataire. La négociation est reléguée au second plan et des familles entières continuent à réclamer la vérité sur leurs proches disparus. Malheureusement, les prémices d'une explosion sociale sont réunies.»