Le Premier ministre a reconnu encore hier la gravité du phénomène de la harga. « C'est une crise, voire une tragédie nationale, un problème sérieux qui a touché la société algérienne dans ses valeurs », a-t-il indiqué en marge d'une journée parlementaire sur la réconciliation nationale. Explorant l'étendue de ce phénomène, Ahmed Ouyahia ajoute que « la société est gravement secouée par l'émigration des jeunes ». Il le décrit comme étant « une longue affaire, pas seulement une affaire de milliards de dinars, de programmes ou de mesures ». Mais si ce n'est pas tout cela, de quoi s'agit-il alors ? Le Premier ministre pense qu'« il s'agit d'un mal profond, là où on se sent responsable et citoyen ». S'étonnant de la persistance de ce phénomène « malgré le démarrage du processus de développement », M. Ouyahia ne semble pas comprendre cette jeunesse qui se jette à la mer puisque, convaincu qu'il est, il considère que « même s'il y a le chômage, il n'y a pas de pénuries pour gagner sa croûte ». N'ayant apparemment que la solution de précarité pour une jeunesse en détresse, le Premier ministre concède toutefois que le problème, en fait, consiste « à redonner à cette jeunesse une flamme d'espoir et une raison de croire en son pays ». Le phénomène, selon lui, « n'est pas conjoncturel ». Et au-delà de sa dimension tragique, estime-t-il, « il y a un problème de civisme ». M. Ouyahia n'hésite pas, en effet, à faire porter à la société une part de responsabilité dans cette hécatombe, dont il ignore l'origine, qui frappe la jeunesse algérienne. En résumé, le Premier ministre veut surtout faire admettre que le phénomène de la harga, qu'il qualifie, visiblement par convenance lexicale, de « tragédie nationale », n'est dû ni à la panne économique, le chômage et la précarité sociale ni à la situation politique dans le pays. Le désespoir semble, selon M. Ouyahia qui a visiblement le souci de défendre le bilan du président Bouteflika, une maladie orpheline dont on ne connaît pas l'origine et encore moins la thérapie. Quoi d'autre que le chômage, l'injustice sociale, l'étouffement jusqu'à l'asphyxie des libertés publiques et individuelles, des libertés politiques, pourrait amener la jeunesse à fuir son pays ? Lorsqu'un jeune Algérien décide d'affronter la houle de la Méditerranée dans une embarcation de fortune, au péril de sa vie, cela signifie qu'il y a vraiment feu en la demeure. Entrevoir l'espoir au bout d'une hypothétique et périlleuse traversée de la Méditerranée ne veut, en réalité, rien exprimer d'autre que la situation de désespoir extrême que vit cette frange écrasante de la société. Seulement, les autorités du pays refusent de l'admettre. La raison est simple : le harrag est cette laide icône qui renvoie à la grave panne économique de l'Algérie et qui caricature tout le mal qui ronge le pays. Un pays où l'on tabasse des enseignants qui organisent un mouvement de contestation pour dénoncer leurs conditions socioprofessionnelles, un pays où aspirer à une vie digne est un acte répréhensible. L'on comprend à présent pourquoi le gouvernement a décidé de criminaliser l'émigration clandestine qui ne s'est cependant pas arrêtée en dépit des lourdes sanctions que prévoit désormais la loi. La trique n'a jamais été une solution au désespoir. Un désespoir qui n'a pas seulement touché les chômeurs ou les 500 000 jeunes que l'école algérienne éjecte dans la rue, mais aussi des cadres et des universitaires qui sont de plus en plus nombreux à opter pour l'émigration. Et certains parmi eux sont à l'abri du besoin matériel. Ils sont plutôt à la recherche d'endroits où il fait bon vivre, avec en sus une bonne scolarité pour leurs enfants. Le phénomène des harraga cache un véritable drame national que le ministre de la Justice « n'arrive pas à comprendre ». Le ministre d'Etat et secrétaire général du FLN répondait aux journalistes qui le questionnaient autrefois sur le phénomène des harraga : « Si quelqu'un a une recette miracle, nous sommes preneurs. » Un aveu d'échec doublé d'une incapacité à trouver des issues aux problèmes que vit le pays.