Djillali Khellas, ce romancier qui est aussi à l'aise dans la langue d'El Moutanabbi que celle de Molière – qui n'est plus à présenter –, quand on l'aborde pour une dédicace au stand des éditions Casbah, entame aussitôt un dialogue, un débat, un échange livresque avec des lecteurs de Maghnia, Mécheria et Médéa qui sont conquis par l'histoire Zaman El Ghorban (Le Temps des corbeaux). Un roman fictif, mais qui extrapole, qui anticipe. La fin de l'ère du pétrole. Celle de la manne pétrolière et gazière dans le monde arabe et ses conséquences. Un sujet vital. Il y va de l'avenir des pays arabes. Et puis, il y a ce retour des dictateurs «mutants» qui se fossilisent. Djillali Khellas a imaginé un pays fictif, «Bercassa», érigé au milieu de nulle part. Sa capitale s'appelle «Bercoussa». Une consonance, un clin d'œil à la «République couscoussière, bananière» qui rime avec «berkoukès», ce plat traditionnel. «C'est la ‘‘République de berkoukès''”. Le pitch de Zaman El Ghorban (Le Temps des corbeaux) ? C'est une épopée d'anticipation qui relate «la guerre civile de Bercassa», un pays pétrolier qui était jusqu'à 2050 prospère et puissant, mais ses ressources fossiles se sont taries, d'année en année, jusqu'à étrangler son économie et déstabiliser son équilibre politico-social en 2070. Cette année-là, la production de pétrole a atteint 200 000 barils par jour, une quantité qui ne peut même pas suffire à alimenter la consommation locale, de plus en plus grandissante dans un pays importateur, sans ressources agricoles et sans base industrielle. Bercassa est en faillite totale, mais Abdeslem Belkrouche fait amender par son Parlement la Constitution qui limitait à deux les mandats présidentiels.…. Extrait : «Où fuir ? Il se fige lorsque le jeune homme le vise avec son pistolet noir. Son regard est aussitôt attiré par le trou sombre du canon. Un frisson glacé et une terreur atroce envahissent son corps fragile. Tout aussi soudainement, son œil cligne à cause de l'éclat brusque qui part du canon, et une suite de déflagrations lui assourdissent les oreilles. Il sent des morsures terribles au front et comme un harpon qui lui lacère la tête de long en large. Il veut se jeter sur le tireur, et ses yeux exorbités tentent en vain de découvrir ses traits. Mais son regard s'embue, ses genoux le lâchent, il vacille, tente de s'accrocher à une voiture, le sol s'approche de son visage à une vitesse inouïe…». Commentant son nouveau roman, Djillali Khellas, indiquera : «Zaman El Ghorban (Le Temps des corbeaux), j'ai commencé à l'écrire en français. Il y a dix ans. J'avais une idée. Celle d'écrire sur la fin du pétrole dans le monde arabe. D'où la question : Qu'est-ce qui va se passer dans le monde arabe ? «J'ai écrit une cinquantaine de pages… J'ai été fasciné par le ”Printemps arabe”. Et il y a eu cette révolte contre les dictateurs dans le monde arabe. Ce n'est pas une révolution. A ce moment-là, j'ai arrêté d'écrire. Marquons une pause. ”Qu'est-ce qui va se passer ?” ; «Où va mener cette révolte ?” Et pour moi, cela a été une déception. J'ai repris mon roman en 2012, pour écrire toujours mon idée essentielle. J'ai découvert que le ”Printemps arabe” n'est pas et ne sera pas la véritable révolution dans le monde arabe. Ce n'est qu'une petite révolte éphémère. Et les dictateurs vont rester (au pouvoir)». A propos du Sila, Djillali Khellas, connu pour son franc parler, déplorera : «Le SILA est un marché de Bab El Oued ou Clauzel. Ce n'est pas un Salon. Vous avez des gens qui tournent et qui n'achètent pas beaucoup. Pour eux, c'est une promenade. Nous n'avons pas de culture dans la rue. Il n'existe pas de clubs culturels. Durant toute l'année, ils n'ont pas où aller. C'est valable pour le cinéma…».
Zaman El Ghorban (Le Temps des corbeaux) ; Djilali Khellas. Roman. Editions Casbah (juin 2018) 262 pages. Prix : 850 DA