Les objectifs ciblés de l'aviation et de la marine israéliennes touchent pourtant les infrastructures de base du Liban, pays déjà meurtri par des années de guerre civile. «Les dommages collatéraux» se chiffrent, en quelques jours, à plusieurs centaines de morts et de blessés et plus de 500 000 personnes déplacées. Washington n'a même pas pris la peine d'appeler les dirigeants de Tel-Aviv pour freiner les ardeurs des va-t-en-guerre. Plus grave encore, le sommet du G8 de Saint-Petersbourg n'est pas parvenu à appeler à un cessez-le-feu «avant d'examiner les causes du conflit». Tsahal intensifie entre temps les raids et les bombardements sur ces territoires. Les dirigeants du club des riches se sont, en revanche, préoccupés, à juste titre d'ailleurs, de l'évacuation de leurs ressortissants, comme si les Libanais, les Palestiniens… les Arabes ne sont pas des êtres humains. Pourquoi une telle impunité, quand c'est Israël qui agresse alors que les lois internationales sont claires quant à ses agissements ? La paix comme un choix stratégique Pour expliquer les guerres au Moyen-Orient, on a coutume d'affirmer tout bonnement qu'Israël constitue «un instrument privilégié de l'impérialisme américain». Cet outil est utilisé, quand on en a besoin, et marginalisé quand ce n'est pas le cas. Selon cette logique, Israël constitue de fait un allié stratégique pour les intérêts vitaux américains dans cette région et dans le monde. Cette thèse est simpliste pour ne pas dire erronée au regard de la réalité des relations internationales. Elle puise, en effet, ses fondements dans un marxisme réducteur, de type stalinien, dont les séquelles n'ont pas encore disparu de la pensée arabe. Partant de cette hypothèse, la diplomatie arabe, sous la houlette des Egyptiens et des Saoudiens, a tenté de faire des pressions sur les Américains, semble-t-il, afin d'aider les Palestiniens à recouvrer leurs droits historiques et leur dignité humaine. Cette diplomatie n'a pas été concluante après plus d'un demi-siècle de palabres, compromissions et trahisons. «Si j'étais un leader arabe», David Ben Gourion avait indiqué à Nahum Goldman, le président du Congrès juif mondial, «je ne signerais jamais un accord avec Israël. C'est normal, nous avons pris leur pays… Nous venons d'Israël, mais il y a 2000 ans, et qu'est-ce que c'est pour eux ? Il y a eu l'antisémitisme, les nazis, Hitler, Auschwitz, mais quelle est leur faute ?» Tout compte fait, le rapport de forces existant au lendemain de la création de l'Etat hébreu en 1947-1948 s'est estompé au fil des guerres israélo-arabes et du processus de paix international. L'intransigeance a atteint un tel degré de cynisme qu'Israël, en refusant l'échange de paix contre les territoires, est parvenu à imposer ses quatre volontés à tout le monde. Même l'offre arabe proposée par Riyad mais adoptée par le Sommet de Beyrouth de 2003, qui allait bien plus loin qu'une simple paix en proposant à Israël une normalisation arabe en échange de son retrait des territoires occupés, a été rejetée ardemment. «La paix comme choix stratégique» était évidemment vouée à l'échec dès le départ. Une telle politique était beaucoup plus destinée à manipuler la rue arabe tout en s'appropriant le capital de sympathie populaire qu'à lutter efficacement pour une cause juste. Paradoxalement, les régimes arabes sont aujourd'hui parvenus même à empêcher leurs populations à manifester leur soutien aux peuples libanais et palestinien ! La guerre totale que mène aujourd'hui Israël, sous le regard complice de ces régimes, marque définitivement la fin d'une époque. La double humiliation que vivent dans l'âme les Arabes ne peut-elle pas être transcendée en s'appropriant la question de la souveraineté nationale comme une affaire de citoyenneté ? Washington, un outil de Tel-Aviv Toutefois, une récente étude publiée sur Internet vient de remettre en cause cette problématique qui a animé le débat sur le conflit arabo-israélien. Cette étude, titrée The Israël Lobby and US Foreign Policy, aurait été dédaignée par l'establishment et jetée aux orties. Mais ce n'est pas le cas. Ce travail a suscité une grande polémique dès sa publication en mars 2006. Les auteurs de cette étude empirique sont accusés par les uns d'avoir cédé à un vieux réflexe antisémite, cependant que d'autres vantent leur «courage» d'avoir abordé de front un «tabou». De virulentes critiques ont été faites, notamment sur la partie où les auteurs mettent en cause les think tanks, les autres cercles de réflexion et la presse pour leur partialité en faveur d'Israël. Cette polémique a été d'autant plus grande que ses auteurs ne sont que deux éminents spécialistes en matière de politique étrangère, Stephen Walt, professeur à l'université de Harvard, et John Mearsheimer, professeur à l'université de Chicago. Rappelons que le premier ouvrage écrit sur cette question est celui du sénateur démocrate Paul Findley, They dare to speakout. Cet ouvrage publié en 1985, n'a pas suscité une telle polémique à l'époque. Pour Mearsheimer et Walt, le soutien indéfectible que Washington accorde à Tel-Aviv trouve son explication dans l'influence qu'exerce le lobby juif sur les décideurs américains. Washington met souvent ses intérêts nationaux de côté, selon ces 2 chercheurs, pour poursuivre ceux de Tel-Aviv. Un tel soutien pourrait être compréhensible si Israël possédait des atouts stratégiques vitaux ou s'il y avait une raison morale irrésistible. Mais aucune de ces explications ne tient la route, arguent-ils. Le lobby juif Les Américains juifs représentent moins de 3% de la population, soit 6 millions, ils sont pourtant très influents dans les prises de décision de toute une nation. Ils ont créé un nombre impressionnant d'organisations pour influencer la politique étrangère en faveur de l'Etat hébreu et de sa politique expansionniste. Les activités de ce lobby, rappelons-le, ne sont nullement une conspiration, telle qu'elle est décrite dans Les protocoles des sages de Sion, un pamphlet raciste écrit par le Tsar pour justifier les pogroms. La plus puissante et la mieux connue organisation dans le monde est le Comité aux affaires publiques américano-israéliennes (AIPAC). Cette organisation, dirigée par des inconditionnels du Grand Israël, représente un véritable Etat dans l'Etat. L'AIPAC poursuit essentiellement 2 grands objectifs. Premièrement, cette organisation tente de s'assurer que le discours public décrit Israël comme étant «la victime». Pour cela, on met à jour les mythes fondateurs de l'Etat hébreu. Le but recherché est d'empêcher tout débat contradictoire dans les médias, les campus universitaires et les cercles de réflexions alors que tous les autres sujets font l'objet d'âpres discussions aux Etats-Unis. Le contrôle de l'opinion publique américaine et internationale est essentiel pour garantir un soutien inconditionnel. Aujourd'hui, il n'est plus permis de critiquer le gouvernement israélien sans encourir les accusations les plus extravagantes et des mesures de rétorsion qui s'apparentent au terrorisme intellectuel, soutient Pascal Boniface, directeur de l'Institut de relations internationales et stratégiques (Paris), dans son dernier ouvrage, Est-il permis de critiquer Israël ? Une discussion ouverte et sincères sur les relations américano-israéliennes pourrait conduire les Américains à mettre en pratique une politique plus équilibrée dans le monde arabe. Comme second objectif, le lobby juif utilise son influence à Washington, en faisant pression sur le Congrès et le bureau exécutif pour faire passer les intérêts israéliens avant même ceux des Américains. Walt et Mearsheimer nous apprennent également que les leaders américains juifs consultent souvent les responsables israéliens pour s'assurer que leurs actions font bien avancer les objectifs israéliens. Le succès de l'AIPAC est dû en grande partie à sa capacité de récompenser ceux qui soutiennent son programme et de punir ceux qui le défient. Cette organisation fait, par exemple, de grosses donations de campagne aux candidats des deux partis. Le Washington Post avait estimé que les candidats démocrates à l'