Le chassé diplomatique des ministres européens au Maghreb de ces dernières semaines a de quoi ne pas laisser indifférents les observateurs et analystes. Les ministres français, notamment des Affaires étrangères et de la Défense, et le chef du gouvernement espagnol ont emboîté le pas à Nicolas Sarkozy qui s'est rendu à Alger en juin dernier. Les ministres européens ont donc retenu les capitales du Maghreb dans leur feuille de route pendant que le roi du Maroc Mohammed VI effectuait une visite d'amitié aux Etats-Unis, ce qui montre sans doute combien la région du Maghreb est aujourd'hui courtisée par les Européens et les Américains. Les uns comme les autres semblent vouloir faire « monter les enchères » en vue d'attirer les pays successivement dans le cadre d'un partenariat élargi, lui-même inscrit dans un prolongement des marchés européen et américain. Et pour preuve, il convient de souligner l'accord de libre-échange signé le 15 juin dernier par le Maroc avec les Etats-Unis, alors que l'accord d'association conclu avec l'Europe par Rabat semble piétiner, notamment autour de certains aspects comme celui de la pénétration des produits agricoles et manufacturiers marocains sur le marché européen, même si la question des accords de pêche semble avoir été mise provisoirement sous l'éteignoir. L'intransigeance espagnole est l'un des principaux obstacles aux objectifs ciblés par les Marocains. C'est sans doute la raison pour laquelle l'une des premières sorties du chef du gouvernement espagnol, M. Zapatero, au lendemain de son investiture, a été précisément effectuée au Maroc. Elle intervenait, certes, à la suite des attentats de Madrid du 11 mars dernier, dans lesquels sont impliqués de nombreux Marocains, et s'inscrivait, sans doute du côté espagnol, dans le souci d'une plus grande normalisation. Toujours est-il qu'à l'issue de la visite du roi Mohammed VI aux Etats Unis, la presse marocaine n'a pas manqué de pavoiser et de rappeler les relations politiques privilégiées avec l'Amérique pour qui le Maroc est considéré comme un « allié majeur non OTAN », un statut privilégié accordé par Georges W. Bush, deux semaines à peine avant la conclusion de l'accord de libre échange, le premier du genre conclu avec un pays africain et le second dans le monde arabe, après celui conclu avec la Jordanie. Dès lors, ces deux « gestes » de Washington confortent la position d'allié stratégique du Maroc, pour Les Etats-Unis, dans la région du Maghreb aux lourdes conséquences sur le plan géostratégique et diplomatique, notamment pour ce qui est du règlement de la question du Sahara-Occidental et du droit à l'autodétermination du peuple sahraoui. Visiblement, ce rapprochement a de quoi inquiéter également les Européens qui voient mal le Maghreb se transformer en un marché et en une zone d'influence exclusifs au profit des Américains. D'ailleurs, la course pour prendre pied davantage au Maghreb au début des années 1990 s'est accompagnée de la multiplication d'initiatives économiques de rapprochement et de partenariat de la part des uns et des autres. Ainsi, au programme Meda, dans ses deux versions, de l'Union européenne destiné aux pays de la rive sud de la Méditerranée, les Américains ont répliqué par l'initiative Eisenstat en direction des pays d'Afrique... Mais ce qui préoccupe davantage les Européens, c'est la crainte de perdre pied dans la mise en valeur du secteur énergétique au Maghreb, notamment en Algérie et en Libye, et d'être au coiffés au poteau par les entreprises pétrolières américaines. Et, surtout, de voir la privatisation du secteur énergétique, ou du moins son ouverture au capital étranger dans ces deux pays, leur échapper au profit de leurs concurrents d'outre-Atlantique. Ce qui les rendrait dépendants d'une certaine manière de l'Amérique pour leur approvisionnement énergétique, notamment en matière de gaz naturel... Un comble, d'autant qu'avec les interconnexions des installations et des moyens de transport énergétique, c'est une partie de l'Europe qui basculerait dans la dépendance américaine. Face à d'aussi inquiétantes perspectives pour les pays de la rive nord de la Méditerranée, la nécessité d'une politique européenne commune à l'égard du Maghreb se fait sentir. C'est en substance ce qu'a souligné dernièrement le ministre espagnol dans un entretien au quotidien El Mundo à la veille de la visite de M. Zapatero à Alger. Il a évoqué un indispensable rapprochement entre l'Espagne et la France sur la question pour esquisser « conjointement une stratégie à l'égard de l'Afrique du Nord et que le message reçu à Alger, Rabat et Tunis soit le même, qu'il vienne de Paris ou de Madrid ». Miguel Angel Moratinos a d'ailleurs précisé ce que sera la démarche de l'Espagne à l'égard du Maghreb dans les prochaines années. « Il y aura dans les mois et les années à venir un pari stratégique fort pour tenter d'impulser un projet de modernité de l'autre côté de la Méditerranée. » Les Espagnols, tout comme les Français, entendent jouer une rôle moteur au sein de l'Union européenne pour pousser également à l'unité du Maghreb, sans pour autant escamoter la résolution de la question du Sahara-Occidental de plus en plus ressentie comme un préalable. Une manière comme une autre de répondre à l'initiative lancée par Bush sur le Grand Moyen-Orient.