Nyala (Darfour, Soudan). De notre envoyé spécial Après le feu vert soudanais, le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon a insisté sur la nécessité d'«un cessez-le-feu intégral immédiat couplé d'un processus politique global, des étapes essentielles pour arriver à une solution durable à la crise au Darfour». Les diplomates craignaient que l'ONU piège la procédure en imposant un chef onusien à ces forces, alors que Khartoum veut que le commandement revienne à l'Union africaine. Des forces de la Mission de l'Union africaine au Soudan (AMIS) sont déjà présentes à Al Facher, capitale du Nord-Darfour, et à Nyala, capitale du Sud-Darfour. A Nyala, l'une des plus importantes villes du Soudan et qui est distante de 1000 km de Khartoum, le QG de l`AMIS est basé à l'entrée de la cité, non loin de l'aéroport. Pas question à la presse, de plus en plus rare à visiter la région, d'y accéder. Il est demandé aux journalistes de se munir d'une autorisation du commandement principal installé à Al Facher et d'une lettre du gouvernement. La bureaucratie africaine étant ce qu`elle est, inutile d'insister. Reste que pour faire le voyage au Darfour, classé zone d'opérations militaires, tous les étrangers, même ceux qui activent dans le domaine humanitaire, sont astreints à l`obtention d'un permis de circuler, délivré par l'administration centrale. Sinon, refoulement à l'aéroport. A l'arrivée à Nyala, il faut se faire inscrire aux services des passeports et de l`immigration pour pouvoir circuler dans les périphéries urbaines. Difficile d'aller au-delà. La milice de Abdelwahad, qui a refusé de souscrire à l`initiative de paix d'Abuja, sème encore la terreur dans une partie de cet immense territoire où vivent plus de trois millions de Soudanais. Mohamed Khir Hassan, ministre de l'Information du gouvernement du Sud-Darfour (le Soudan est un Etat fédéral), estime que la situation est maîtrisée, mais reconnaît que deux entités administratives de la Provence sont sous le contrôle de deux factions signataires de l`accord d`Abuja. Il a déclaré que des actes de pillage sont perpétrés par des groupes armés, mais que «la police fait son travail». La crise du Darfour n`est, selon lui, pas une guerre entre les Africains et les Arabes. «Un traditionnel litige entre bergers et paysans s`est transformé, comme par enchantement, en conflit armé», relève-t-il. Il ne cache pas un fait assez grave qu'a connu la région ces dernières semaines : deux tribus arabes, les Maalia et les Rouzaikat, s`étaient affrontées avec des armes. L'affrontement s`est soldé par la mort de deux cents personnes. Manière à lui de souligner que le Darfour, connu pour sa multiplicité tribale, est habitué aux «querelles» intertribus sans que le fondement soit politique. «Le Darfour ne connaît aucune guerre religieuse. Et personne ici ne veut exterminer qui que ce soit. Arabes et Africains ont toujours vécu ensemble…», soutient-il. Qu`en est-il des djanjawids ? «C`est un concept médiatique largement amplifié par la presse occidentale pour justifier l'intervention étrangère. Avant 2003, le terme djandjawid était inexistant», explique Mohamed Salih, responsable des relations extérieures au gouvernement du Sud-Darfour. Selon lui, les factions armées ont donné une dimension «irréelle» au phénomène djandjawid pour avoir «une adhésion» internationale à leur cause. «Sur ce plan, ces factions ont réussi, puisqu'on parle de génocide. Les djanjawids sont pour le Soudan ce qu`ont été les armes de destruction massive pour l`Irak», appuie-t-il. Les Etats-Unis et l'Union européenne accusent Khartoum d'avoir aidé à l'armement des djandjawids pour se «venger» des rebelles du Darfour. «Vous allez nous perdre !» Al Djar Bichara Al Djar, militant du parti de la Oumma de Sadek El Mahdi (opposition) et député du Parlement local, estime que le Soudan est victime d`un complot. «Que fait le monde arabe pour nous aider ? Les Etats-Unis ont amplifié la crise du Darfour pour une seule raison : faire main basse sur nos ressources naturelles. Nous refusons l'intervention étrangère. Ce n`est pas à l'Amérique de me protéger de mon frère !», dit-il avec émotion. Il estime que si le monde arabe reste passif devant l'évolution, il va perdre le Soudan. «Vous allez nous perdre, comme vous avez perdu l'Irak, la Palestine…», ajoute-t-il. Al Djar Bichara Al Djar ne partage pas l'attitude quelque peu réservée de Sadek El Mahdi sur le dossier du Darfour. S`il rejette les sanctions économiques, imposées d`une manière unilatérale par les Etats-Unis au Soudan, Sadek El Mahdi, qui est installé au Caire, est favorable à des poursuites judiciaires devant la Cour pénale internationale (CPI). «Tous ceux qui ont commis des crimes au Darfour doivent répondre de leurs actes. Il ne faut pas qu'il y ait d'impunité», a-t-il déclaré à la presse soudanaise. La CPI a lancé un mandat d'arrêt international à l'encontre d'Ahmed Haroun, ministre en charge des Questions humanitaires, et Ali Kouchib, chef de la Défense populaire, soupçonnés d'avoir commis des violations de droits humains. La CPI reproche à Ahmed Haroun d`avoir «organisé et armé» les djanjawids. Lam Akol, ministre des Affaires étrangères du Soudan, a enlevé toute qualité à la CPI de poursuivre des responsables soudanais. Mohamed Salih précise que l'accord de paix d'Abuja doit être appuyé par la communauté internationale, sinon il sera réduit à de l'encre sur du papier. «Les factions, qui ont refusé de signer l'accord, ne doivent plus bénéficier de soutien. Il faut œuvrer au désarmement de ces groupes. Il faut que les factions s`unissent pour pouvoir négocier la paix», indique-t-il. Adam Abdelrahim Adam, ministre de l'Education et membre du Mouvement pour la justice et l'égalité, dont une aile a adhéré à l'offre de paix, a des doutes sur la capacité et la volonté du gouvernement central de désarmer les djanjawids. Début juin, le président soudanais s'est engagé, dans une lettre adressée à l'ONU, de tout faire pour désarmer les djandjawids et imposer un cessez-le-feu. Le chef de la diplomatie soudanaise, qui a rencontré des journalistes étrangers la semaine dernière, a concédé que le gouvernement est prêt à racheter les armes aux milices. «C`est encore difficile», a-t-il soutenu. Mais d'où proviennent toutes ces armes ? A Nyala, on nous explique que les milices se sont approvisionnées dans le sud du pays, région qui a connu, avant l'accord de paix de Nifacha (soutenu par les Etats-Unis), la plus longue guerre civile d`Afrique, en Erythrée, après l'arrêt des hostilités à l'est du Soudan mais aussi dans des pays voisins comme le Tchad et la Libye. Le trafic d`armes est une face cachée de la crise du Darfour qui implique des intérêts aussi divers que contradictoires. Nyala est à 300 km des frontières est du Tchad. Khartoum accuse N'Djamena d'abriter les rebelles. Et N'Djamena retourne l'accusation. Cependant, les deux pays œuvrent pour normaliser leurs relations puisque Idriss Debby (qui a étudié au Soudan) est attendu à Khartoum pour une visite qualifiée d'importante, après une escale au Caire. «En Afrique, c`est à ciel ouvert. Il n'y a pas de frontières !», nous dit-on, ici, à Nyala. Le désarmement des djanjawids et des milices est prévu dans l'accord d'Abuja. Comme il est retenu le principe de partage de pouvoir déjà entamé avec la nomination de Arko Meni Minaoui comme conseiller du président Omar Hassan Al Bashir et chef de l`autorité de transition au Darfour. Le Parlement soudanais a appelé les factions signataires de l`accord de paix à «maîtriser leurs troupes» (le Darfour connaît une multiplication incroyable de milices). Il a également exhorté le gouvernement à accélérer la récupération des armes. Dans le marché grouillant de la ville de Nyala, mitoyen de l`hôtel Firdawas où nous étions installés, les gens, dont beaucoup de réfugiés, parlent de la vie de tous les jours, loin des complexités de la politique. Certains disent, comme ce marchand de cassettes et de CD, que la situation est toujours difficile : faux barrages, brigandage… Au Darfour, le banditisme est venu se joindre aux actions des factions. C`est parfois tellement confus qu`il est presque impossible de savoir qui est qui et qui fait quoi. Nous y reviendrons