Le chapiteau du cirque venu du nord de l'Italie a été levé, reste que les Algérois en garderont toujours un bon souvenir. Depuis 1972, année de la dernière représentation du cirque Amar, aucun autre spectacle ne fut monté en Algérie. Le chapiteau de quelque 1500 places installé au Caroubier n'a jamais désempli. Celui qui fait office de directeur artistique, Steve, indique qu'il est «aux petits soins avec ces collègues». Le cirque est devenu un véritable melting-pot car sous son chapiteau se trouvent réunies plusieurs nationalités. «Pas moins de 10 nationalités travaillent en bonne intelligence ici. La plupart viennent d'Amérique latine, surtout de la partie septentrionale. On trouve également des Européens mais pas en grand nombre», relève Steve en balayant du regard les gradins qui commencent à se remplir. «Ici, on est comme dans un royaume avec à la tête un roi à qui tout le monde doit le respect. Cette monarchie est teintée de communisme. Tout ce qui est bon pour quelques-uns, l'est pour tous. Les différences on les gère, on ne les étouffe pas», soutient-il. Gérer toute cette population qui s'élève à plus de 110 personnes revient «à savoir jouer avec tous les penchants souvent contradictoires.» La vie dans un cirque n'est pas facile, mais n'y entre, assure-t-il, que celui que les métiers du spectacle attirent. «On est obligé souvent d'avoir les pieds dans la boue et de vivre dans des cabines exiguës, n'ayant qu'une petite lucarne comme seule issue sur le monde extérieur.» C'est rarement que l'on enregistre des déphasages. «Il arrive que des personnes, rares celles-là, nous quittent, mais c'est surtout sous la pression de leurs proches.» Des «subterfuges sont trouvés». Au bout de trois représentations, des booms sont organisées pour décompresser mais surtout «pour remonter la pente, rude à tous les coups», insiste le directeur, âgé d'à peine 29 ans. Mais que l'on ne s'y trompe pas : les Togni font du cirque depuis six générations, sans que quelqu'un ne change de «métier» ou ne s'en lasse. La Comedia Del l'arte en constitue, indique Steve, l'essence sans que les autres influences soient mises à l'écart. Steve qui en est le gérant à Alger est catégorique : «La première représentation fut faite en 1872 au nord de l'Italie d'où sont originaires mes ancêtres.» Le projet qui dure depuis six générations est né de l'alliance «contestée» entre un cavalier appartenant à la noblesse et une roturière. Comme leur alliance ne fut pas acceptée par leurs parents, ils décidèrent de couper les amarres avec leurs familles et vivre ensemble en organisant des spectacles forains. S'en suivront des représentations «plus élaborées» dans toute l'Italie, avant que le spectacle ne s'internationalise. Beaucoup d'Algériens dans le cirque… Un clin d'œil à nos nationaux : «Les gladiateurs on les trouvait ici et on les ramenait pour distraire les citoyens romains. Les personnages du bouffon et de l'arlequin sont de chez nous et personne ne peut le contester», indique-t-il. Même les Bouglione, illustre famille qui accueille depuis 1933 tous types de circassiens, sont «ses compatriotes», même s'ils se sont fait une place en France, s'enorgueillit-il. Mythifié l'ancêtre ? Assurément. Reste que la rencontre sur le sol algérien s'est faite par l'intermédiaire d'un natif du pays qui a connu les sunlights, Amar de Bordj Bou Arréridj. Le cirque italien a pris le nom de celui qui fut ignoré dans son propre pays. Des Algériens, on en trouve de plus en plus, surtout des Oranais. Pas moins de sept jeunes filles faisant office d'hôtesses d'accueil ont été intégrées au fil des passages dans la capitale de l'Ouest. Sarah s'est retrouvée dans le circuit il y a plus d'une année. «Je m'y plais, d'autant que j'ai un compagnon colombien. J'ai préféré quitter mes études d'espagnol à l'université et suivre la caravane des artistes», raconte-t-elle, en plaçant entre-temps les spectateurs. «L'ambiance est saine et tout le monde s'y retrouve. Mon ami ne va pas tarder à quitter le chapiteau, mais moi je reste étant donné que les prestations sont bonnes», conclut-elle. «Ici, je ne m'ennuie pas. Si c'était le cas, je n'aurais pas quitté ma wilaya et mes études», soutient-elle. A l'entrée, se sont installées d'autres hôtesses d'accueil qui arborent un sourire. Elles se trouvaient à Oran lorsqu'elles ont été engagées par les Italiens. «Moi, je m'y sens bien. Je suis là pour l'aventure. Je recherche des sensations fortes. Si je ne les avais pas trouvées ici, ça fait longtemps que j'aurais quitté le cirque», indique l'une d'elle, l'œil sur les spectateurs qui se pressent sur les gradins. Des Kabyles sont aussi de la partie. L'un d'eux a trouvé l'âme sœur et compte se marier l'année prochaine avec une hôtesse. «Il faut être sérieux et ne compter que sur soi-même», rappelle Kamel, originaire de Azrou Oukellal à Aïn El Hammam. «A force de persévérance», ce Kabyle de Tizi Ouzou a été engagé après le passage des Italiens en 2004 comme trapéziste et il compte aller plus loin parce qu'il «s'y trouve bien». Aussi, Kamel qui a toujours vécu à Tizi Ouzou-ville, un «zdimouh», comme il dit, s'est enhardi et n'est pas seulement sur le fil. «Je fais office de démarcheur-acheteur. Une confiance s'est installée entre moi et les gérants du cirque», indique-t-il. «Il est, néanmoins, plus difficile pour les filles de suivre le cirque dans ses tournées. Il y en a qui se sont trouvées sous le chapiteau mais ont vite quitté les lieux, leurs familles n'acceptant pas souvent la vie qu'on y mène. Ici les tabous ont toujours la peau dure», relève Steve avant de rejoindre la scène où il anime les représentations avec sa gouaille habituelle. Les couples, on n'en trouve pas ici. Il y en a quatre mais qui sont sans enfant. Les gens préfèrent rester des célibataires endurcis. Il est dans le même cas puisque lui aussi, âgé de 29 ans, est célibataire. Sauf qu'il s'est épris d'une femme du cru. «J'avais une copine algéroise mais la relation n'a pas fait long feu du fait que ses parents n'en ont pas voulu. Ça reste toujours compliqué ici mais je garde toujours de bons contacts avec cette amie que je considère comme une fille très intelligente», raconte l'Italien. Le cirque c'est un rond de paradis dans un monde dur et dément, rappelle-t-on. L'engouement du public ne s'est pas démenti depuis la venue en 2003 du cirque en Algérie. Blida sera l'autre escale des Italiens du Nord.