Ce sont aussi les machinations cyniques de pays étrangers qui cherchent à dépouiller ce géant de l'Afrique de ses richesses faramineuses. Dans ce récit de 346 pages, John Le Carré est à l'apogée de son art. Il a un regard lucide, engagé sur les problèmes du monde. C'est une tradition de la littérature anglaise. Voir les beaux romans de Graham Green ou de Norman Lewis. John Le Carré lui-même a publié récemment un très beau roman : The Constant Gardener (le jardinier constant) où il dénonce les multinationales des médicaments. The Constant Gardener a fait l'objet d'une adaptation cinématographique, un film monumental et très passionnant projeté en 2005 à la Mostra de Venise. Les grands laboratoires pharmaceutiques de Suisse, d'Allemagne et des Etats-Unis sont traités comme des truands de haut vol, les médicaments qu'ils refilent aux pays africains sont soit périmés, soit qu'on essaie d'expérimenter sur des humains (africains) ; de nouveaux médicaments qui ne sont pas encore autorisés dans les pays riches. La toile de fond de The Mission Song, c'est la province du Kivu dans le Congo oriental. Une région richissime en minerais précieux, une province paradisiaque (forêts, fleuves, arbres fruitiers). Le Kivu ravive les convoitises. Celles des clans régionaux rivaux et celles des multinationales dont les représentants s'apprêtent à envahir ce paradis. Pendant ce temps, le peuple du Kivu, pauvre bougre, assiste impuissant aux multiples versions des guerres civiles et des agressions étrangères. John Le Carré plante le fabuleux décor du Kivu (c'est lui qui parle d'un paradis), il décrit à travers mille péripéties la préparation d'un vaste complot armé où sont complices les oligarchies de Kinshasa et les mercenaires à la solde des multinationales. The Mission Song est une fiction, mais l'auteur construit toute son intrigue, l'histoire du Congo depuis l'assassinat de Patrice Lumumba par la CIA et les troupes belges, sur une réalité historique incontournable. Son récit suffit pour alerter la mémoire des lecteurs de la page «Internationale» d'El Watan ou ceux du grand magazine américain The New Yorker (avec notamment les révélations du journaliste Seymour Hersh sur les exactions d'un certain Dick Cheney…). Voici en effet le personnage du roman, un certain Philip, à la tête du projet d'invasion du Kivu : il est courtier à Wall Street, ancien conseiller à la Maison-Blanche, PDG de Pan Atlantic Oil Corporation de Denver dans le Colorado, ancien membre du Conseil de la sécurité nationale, vice-président de la Gold and Finance Corporation de Dallas dans le Texas, consultant privilégié du Pentagone pour l'acquisition et le stockage des minerais essentiels, vice-président de Grayson-Haliburton Communications Enterprise… Il faut lire ce roman écrit dans un style éblouissant. C'est le 20e roman de John Le Carré et il apporte maintes révélations sur la longue tragédie du Congo. C'est un roman noir mais qui garde ses lettres de noblesse . – The Mission Song (Le Chant de la Mission) – traduit chez Seuil par John Le Carré, 346 pages, 21,80 euros