Le semblant d'éclaircie, qui s'y est momentanément installée, est vite balayé par la réalité macabre de l'islamisme qui vient encore de ravir atrocement la vie à une soixantaine d'innocents en plein cœur d'Alger. Mais avant ce terrible double attentat, les malheureuses et antisémites déclarations d'un officiel algérien sur l'origine juive du président français, Nicolas Sarkozy, suivies illico par la mise en branle des partis de la coalition pour assurer un troisième mandat au président Bouteflika et le mince résultat obtenu par les démocrates lors du scrutin du 29 novembre 2007 réaffirment le maintien opiniâtre des options manifestement archaïques et perverses du régime, ainsi que son ostracisme à l'égard des démocrates, des mouvements kabyles et autres syndicats autonomes. Tel un baromètre, ces événements montrent clairement les contradictions dont le système algérien continue de tirer sa légitimité et brouillent toute éclaircie qui dégagerait l'horizon. L a campagne électorale pour le renouvellement des APC et APW(1) du 29 novembre 2007 a confirmé la capacité-caméléon des partis de l'alliance présidentielle à passer du soutien au régime à l'opposition. Cette usurpation était particulièrement visible lorsque ces partis entamèrent le débat relatif aux compétences du maire, élu directement par le peuple, et du chef de daïra (sous préfet), représentant l'administration à l'échelle locale, sous la direction du wali (préfet) et de l'autorité de tutelle, le ministère de l'Intérieur. De l'avis de beaucoup de maires, les interventions de plus en plus fréquentes et injustifiées du chef de daïra dans la gestion des affaires relevant exclusivement de leur compétence, visent à limiter le pouvoir conféré à ce dernier par la population. Incontournable frein, le chef de daïra avec son pouvoir extensif constitue un vrai cauchemar pour les élus issus de l'opposition réelle (2). Ces interventions ont réduit à la longue les mairies à de simples guichets d'état civil. Les mécanismes ou les réseaux permettant aux maires issus de l'opposition d'irriguer profondément la société avec des valeurs démocratiques sur la base desquelles ils ont été élus, sont souvent obstrués, à défaut d'être récupérés, par la daïra pour les réorienter en fonction des intérêts de l'administration. Cette immixtion à l'origine de plusieurs bras de fer, fleurant l'affrontement entre la commune et l'inamovible représentant de l'exécutif, est particulièrement décrié en Kabylie. La dénonciation de ces interventions forçant souvent la démocratie à reculer pour mieux asseoir les desseins du pouvoir est étonnement repris par les partis de l'alliance présidentielle. Bien que les textes régissant les pouvoirs et les prérogatives des deux protagonistes émanent de cette alliance — du moins leur consentement est censé être requis —, ces partis, contrairement à toute logique et sans aucune gêne, ont dénoncé les ingérences des chefs de daïra, se glissant ainsi frauduleusement dans la peau de l'opposition pour les besoins évidents de la campagne électorale. Ces pratiques délibérées discréditent le maire issu de l'opposition, car incapable de tenir ses promesses, et dénigrent aussi le maire issu de la majorité gouvernementale à cause des simulations démocratiques dont il use pour se faire élire. A la longue, ces méthodes ont dénudé la politique de tous ses titres de noblesse et l'ont réduite à son immoralisme le plus rudimentaire, ce qui a ouvert la porte à tous les dérapages. Dans certaines régions où l'accès est difficile aux partis de la coalition gouvernementale, il est fait appel aux marchands de voix qu'on voit apparaître avec de grandes valises pleines d'argent et disparaître à la fin des campagnes électorales. Ces pratiques mafieuses ne cessent de rétrécir dangereusement l'espace démocratique. Le résultat de ces élections a renforcé les partis de l'alliance présidentielle qui ont raflé quasiment la majorité des communes et des wilayas (préfectures) du pays. L'opposition, le FFS et le RCD, n'a eu que 8,35% des suffrages exprimés et cela dans son fief habituel, la Kabylie. La base étant acquise, le pouvoir ne pouvait mieux exploiter cette victoire qu'en la projetant immédiatement dans le futur. Pour ce faire, et on en arrive à la seconde contradiction qui est, quant à elle, une constante de la politique algérienne. On évoque l'avatar juif à chaque fois que les besoins de la politique interne l'exigent, d'où les pernicieux et antisémites propos tenus par un ministre algérien au journal arabophone El Khabar, suivi du silence remarqué du gouvernement algérien, la veille de la visite du président français, Nicolas Sarkozy, en Algérie. On a déjà vu, par le passé, le pouvoir agiter cet antisémitisme pour venir à bout de certaines orientations de la politique interne du pays. Rappelons-nous, à titre d'exemple, les virulentes accusations antisémites de la presse algérienne, au début des années 1990, contre le ministre algérien de l'Economie, quand il a voulu recourir au compétent bureau d'études français dirigé par Gus Massiah et Raymond Benhaïm afin de mettre en place un observatoire du commerce extérieur. Il a été accusé d'être de mère juive et de vouloir livrer le pays à Israël. L'instrumentalisation par les tenants du pouvoir de l'islam politique, qui trouve son terreau dans le sentiment anti-juif, pénalise drastiquement toute avancée démocratique car celle-ci signifierait leur péril immédiat. Discrédité par leur population, les chefs d'Etat des pays musulmans exploitent à fond toute fibre pouvant les faire briller un tant soit peu. Mais à force de tirer sur cette corde si sensible, ces pays tombent en pleine contradiction avec leur politique affichée et se retrouvent à court d'arguments devant la déferlante islamiste qui vise, quant à elle, à jeter Israël à la mer. Le problème irakien, par extension, a révélé les mêmes réflexes de manipulation : on a bien vu, lors de la première guerre irakienne, l'islamiste Ali Belhadj en tenue de combat demandant au ministre de la Défense, le général Khaled Nezzar, en civil, l'autorisation d'organiser le départ des Algériens volontaires à aller guerroyer contre les Américains. Toilettage constitutionnel Pour revenir aux événements de la première quinzaine de décembre, le cas Enrico Macias, chanteur resté très populaire en Algérie, est assez édifiant, car il relève l'incapacité du président algérien, Abdelaziz Bouteflika, à faire venir cet artiste juif dans son pays natal. Devant ce cuisant aveu d'échec, ne peut-on pas se demander à quoi servirait un troisième mandat à un président, en exercice depuis 10 ans, qui ne peut recevoir des personnes, aussi controversées soient-elles, qu'il a personnellement et publiquement invitées à venir séjourner en Algérie ? La tendancieuse réponse que certains essaient d'apporter à cette question et qui consiste à maintenir l'invitation à condition qu'elle se fasse dans un cadre privé est un double aveu de l'antisémitisme viscéral qui anime les milieux qui s'opposent à la venue d'Enrico Macias. Ainsi, l'Algérie de 2007 a le triste besoin de recourir au sentiment anti-juif pour faire admettre à ses citoyens la nécessité de réviser sa loi fondamentale permettant à son président de briguer un troisième mandat. Les mécanismes renforçant la démocratie, les performances économiques, les valeurs politiques, le respect des institutions et tous autres bilans exigés pour se représenter à un autre mandat, sont acculés à un rang inférieur. Bien évidemment, cela n'aurait pas suffi en Algérie car il s'agit d'amender la Constitution sans crise institutionnelle apparente et encore moins en raison d'un vœu du peuple suite à un large et passionnant débat. Cette agitation venue d'en haut ne vise que le rééquilibrage des rapports de force des puissants clans qui détiennent le pouvoir. A en croire l'agence RIA (agence russe d'information internationale) Novosti, en date du 13 décembre, le clan des énergéticiens, soutenu et utilisé par les capitales étrangères pour contrer l'arme énergétique russe, auquel le président s'est rallié, supplanterait les autres clans. Ce toilettage de la Constitution visera encore une fois de prendre la vérité du jour pour une vérité constitutionnelle, sinon pourquoi un troisième mandat pour un président qui ne semble pas en possession de toutes ses forces. D'autant plus qu'on sait que la fonction de chef d'Etat est très éprouvante. Pour les Américains, un homme normalement constitué ne peut supporter la pression de cette haute fonction au-delà de deux mandats. Mais il est connu aussi qu'en Afrique, la plupart des chefs d'Etat, cette dernière décennie, se sont lancés à bras-le-corps pour adapter la Constitution de leur pays réciproque à leur ambition personnelle leur permettant de profiter le plus longtemps possible des fastes que leur offre cette fonction. Poussant le ridicule à l'extrême, certains d'entre eux pensent même être dépositaires d'une mission divine et font tout pour demeurer après leur mort aussi longtemps que possible dans la mémoire de leurs citoyens, prolongeant ainsi leur vie sur terre. Heureusement que le filtre sélectif de l'histoire possède ses propres règles. En décidant de céder sont fauteuil de président au terme d'un seul mandat, le modeste Nelson Mandela a multiplié indéfiniment son capital de sympathie acquis en étant prisonnier dans les geôles de Johannesburg. Légende vivante, il a bien compris qu'on consacre beaucoup plus d'énergie à vouloir rester au pouvoir qu'à servir son peuple. Aujourd'hui, il est honorablement accueilli, acclamé et réclamé dans tous les pays du monde. Dommage que les chefs d'Etat africains ne suivent pas la sagesse de ce grand homme. En Algérie, à l'exception notable de Mohamed Boudiaf, assassiné le 6e mois après son investiture, les chefs d'Etat, qui se sont succédé à la tête du pays, n'ont pas cessé de cultiver les défauts des despotes africains et les tares des émirs et sultans arabes. Si le projet d'amendement de la Constitution venait à se concrétiser, on serait venu à bout de l'un des derniers remparts contre le despotisme. Ce principe limitant le mandat présidentiel à deux serait donc foulé au pied pour permettre au président de rester au pouvoir aussi longtemps que Dieu lui prête vie. Pour sauvegarder cette garantie, le peuple vénézuélien s'est vu contraint d'opposer un honorable niet à celui qui voulait s'éterniser au pouvoir, le sulfureux président Chavez. Le président Vladimir Poutine, pourfendeur de la fragile démocratie russe, ne pouvant transgresser ce principe, aura la désobligeante obligation, s'il veut rester dans la gestion des affaires du pays, d'accepter de battre en retraite pour se repositionner à la seconde place de la hiérarchie politique russe. Au lieu d'agir avec la même fermeté que ces pays, on préfère, en Algérie, mettre en branle des forces (partis de l'alliance présidentielle et autres organisations satellites du pouvoir) que je n'appellerai pas révolutionnaire — tant pis pour la tradition journalistique — pour niveler la société par le bas et faire passer la pilule. On définit les forces qui s'opposent à tout changement et qui empêchent la société d'évoluer par le terme réactionnaire. Il est important de ne pas céder sur les mots si on ne veut pas céder sur les idées. Le pouvoir, fort de sa manne pétrolière, ne lésine pas sur les moyens. Il ratisse large, en mettant progressivement en place, des mécanismes visant à réduire le courant démocratique à sa plus simple expression. L'existence de cette opposition est maintenue uniquement pour servir de vitrine démocratique : une façade affichée au goût des chancelleries étrangères rendant le pays fréquentable. Devant ce nivellement de la société planifié en haut lieu, la Kabylie, région historiquement réfractaire aux visions hégémoniques du pouvoir central, désapprouve cette politique et refuse la carotte que ce dernier lui tend. Cette région n'a jamais cessé de revendiquer haut et fort la démocratie pour tout le pays en refusant la fatalité islamiste que le pouvoir semble désigner comme seule alternative au pouvoir confisqué par les militaires. Le silence criant des autres régions aidant, le pouvoir a usé de tous les subterfuges pour étouffer et marginaliser toute revendication démocratique émanant de la Kabylie. Les différentes négociations, qu'il a astucieusement entamées avec des représentants de la Kabylie, sont bel et bien tombées en désuétude. Usée, isolée, meurtrie par le Printemps noir(3) mais toujours désireuse d'une démocratie réelle, la Kabylie se retrouve irrémédiablement devant son destin. Ce destin qu'elle a vainement souhaité pour toute l'Algérie, et qui consiste à œuvrer vers la lumière, est aujourd'hui revendiqué par une partie de la jeunesse kabyle sous forme d'autonomie. Ce mouvement qui lui permettrait de sauver sa dignité n'est ni du chauvinisme ni du régionalisme et encore moins une œuvre de brutalité. C'est peut-être le seul salut pour échapper à une alternance islamiste et pour pouvoir enfin vivre en harmonie avec ses propres valeurs. Notes de renvoi – 1- Assemblées populaires communales et Assemblées populaires de wilaya (préfecture) – 2- Selon le respectable Me Ali Yahia Abdennour, ex-président de la LADDH (Ligue algérienne de défense des droits de l'homme), la seule opposition démocratique en Algérie est celle du FFS et du RCD. – 3- Le Printemps noir est le nom donné à la révolte de la Kabylie d'avril 2001. La répression sanglante des forces de sécurité a fait 123 victimes.